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part de butin, ne se fit pas faute d’emporter tout ce qui lui tombait sous les doigts. « Souvent, nous dit-il, j’ai régalé de vin et d’eau-de-vie mes compagnons de tente ; et, un jour, je me suis emparé d’un magnifique manteau d’officier, tout neuf, que j’ai vendu à un lieutenant pour quatorze thalers, bien que les galons d’or, à eux seuls, valussent davantage. Si je ne prends pas l’objet, un autre le prendra : ce raisonnement était, désormais, devenu pour moi une règle de conduite à peu près constante. »

Sous une pluie lugubre, les troupes prussiennes sortirent de Verdun, pour marcher à la rencontre de l’ennemi. On avait dû laisser derrière soi une partie des vivres, faute de chevaux et de fourgons pour les transporter ; et la marche était si lente sur les routes boueuses, que Laukhard, avec sa franchise ordinaire, reconnaît que c’est seulement sa fatigue et son manque de forces qui l’ont empêché de « passer du côté des Français, » dès ce moment-là. Le tableau qu’il nous fait de cette marche de son armée, jusqu’au jour de la bataille de Valmy, ne ressemble guère à celui que nous en a laissé l’auteur de Werther et de Faust, qui prenait part à la même campagne dans l’entourage immédiat du roi de Prusse et d’autres princes allemands : mais tous deux ont un accent de vérité qui nous force à tenir également compte de leur témoignage ; et tandis que Gœthe, avec une élégance et une justesse d’expression merveilleuses, nous décrit les apprêts du combat tels qu’il les voyait de la tente des chefs, il ne nous déplaît pas que Laukhard vienne nous révéler le point de vue des soldats, nous les représentant affamés et fourbus, toujours prompts à s’irriter des ordres de leurs officiers, et ne sachant pas trop s’ils doivent détester ou admirer les « patriotes » qu’ils vont avoir à combattre, mais conservant, sous tout cela, une vénération superstitieuse à l’égard de ce roi et de ces princes que quelques-uns d’entre eux croient, très sérieusement, être invulnérables, — ce qui est, au reste, l’une des croyances que leur compagnon et historien Laukhard a le plus de peine à leur pardonner, en sa double qualité d’ancien professeur et de « philosophe. »

Quant au détail des opérations militaires de Valmy, Laukhard ne nous en apprend presque rien, son régiment n’ayant eu, pour ainsi dire, qu’à recevoir, de très loin, quelques coups de canon égarés. Lui-même, cependant, malgré son mépris pour les folles idées des autres soldats, ne nous cache pas qu’il s’est