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ce qu’on veut, ainsi que d’un enfant, je serrai la main du marquis, et me voilà devenu caporal chez les émigrés ! »

Quelques jours après, un sergent conduisit le nouveau caporal à Ettenheim, où il fut présenté au prince et au vieux cardinal de Rohan. « Le prince était un type parfait de l’émigré banal : il sautait, chantonnait, et bavardait à tort et à travers. Son oncle le cardinal m’intéressa beaucoup plus. Il avait la figure d’un vieux viveur fatigué, avec une dignité de tenue et une voix élégamment modulée qui n’étaient pas sans m’inspirer un certain respect... »

Laukhard ne fit, au reste, qu’un très court passage dans cette armée extraordinaire, composée de plus d’officiers que de soldats, et où les hommes, « ramassis d’aventuriers allemands, hollandais, italiens, espagnols, polonais, et français, » n’avaient reçu de leurs chefs que « des pantalons de toile et des capotes, » en attendant que l’on décidât quel uniforme on allait leur donner. Un beau jour, après avoir obtenu de ses officiers le plus de « kreutzers » possible, — s’étant fait donner un thaler, par exemple, pour arracher de son habit une garniture de « boutons républicains, » — il profita d’une mission qu’on lui avait confiée pour décamper d’Ettenheim, avec le projet de ne plus s’arrêter nulle part jusqu’à son arrivée à Halle. Mais, à peine arrivé à la ville voisine, la vue d’une nouvelle troupe de soldats, et la perspective d’une nouvelle prime, eurent aussitôt raison de ses résolutions ; et c’est ainsi que, avant de terminer la seconde série de ses Souvenirs, il nous apparaît encore, momentanément, sous un uniforme de caporal de « l’armée de l’Empire, » discutant les plus hauts problèmes philosophiques avec son colonel, sans négliger de supputer le « pourboire » probable que lui rapportera cette discussion.


IV

De retour à Halle, vers le milieu de 179S, Laukhard s’est hâté de publier cette seconde partie de son autobiographie ; et j’ai déjà dit combien l’accueil qu’elle a reçu a été différent du succès obtenu par la série précédente, trois ans auparavant. Mais M. Petersen a eu l’excellente idée de joindre, à sa réédition abrégée des « confessions » de l’aventurier allemand, un résumé des événemens ultérieurs de sa vie, ou plutôt de ceux de ces