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se peut même qu’indirectement il leur soit redevable de cette impressionnabilité si vive et de cette tendance à la rêverie qui n’était pas ordinaire dans un siècle raisonnable. « L’absence d’enfans de son âge, le silence de ce grand cloître dépeuplé et de cette vallée solitaire, tout cela était évidemment fort propre à le jeter dans la rêverie.. Il dut rêver beaucoup, ces trois années-là, le long de l’étang, dans les jardins et dans les bois. Et sa sensibilité, repliée sur soi, secrète, sans confident, dut se faire par là plus profonde et plus délicate. » Cela est, tout au moins, plausible. Ce qui est certain, c’est que Racine, en sortant de Port-Royal, en emporte l’esprit au fond de lui-même. Il est, cet esprit de Port-Royal, dans l’œuvre du poète. Racine est persuadé de la corruption foncière de la nature humaine : c’est bien ce qui donnera à ses analyses tant de profondeur, à ses peintures tant de vérité. En outre, l’artiste chez lui est admirable par sa simplicité, par la sûreté de son goût, ou, pour mieux dire, parce que le premier il fait entrer le « goût » dans la littérature de théâtre. Mais comment oublier ce culte pour la simplicité qu’avaient les « messieurs, » et cette horreur qu’ils nourrissaient contre les vains ornemens, et cette « rhétorique ennemie de la rhétorique » que Pascal avait apprise à leur école ou peut-être qu’il leur avait enseignée ? Notons encore que Racine est de tous les auteurs celui qui a le moins varié dans ses directions, qui a été le plus tôt en possession de son idéal d’art. N’est-ce pas parce que cet idéal était en conformité parfaite avec les enseignemens qu’il avait reçus ? On le retrouve, l’esprit des messieurs de Port-Royal, jusque dans la période de dissipation de leur élève : en aurait-il avec tant de vivacité savouré les joies, si ces joies n’avaient pas été des péchés ? Et c’est lui qui, peu à peu, reprenant le dessus, opérera la conversion de Racine.

Cette conversion, s’il faut en croire l’auteur d’un livre sur la Bérénice de Racine[1], M. Michaut, aurait commencé au lendemain de Bérénice. Le savant professeur était irrité de lire un peu partout que Bérénice est une élégie ; et l’épithète de divine qu’on y accole volontiers ne lui semblait pas une réparation suffisante. Que ce chef-d’œuvre fût tenu pour une œuvre moindre, ou même pour une « faiblesse » dans le théâtre de Racine, cela l’indignait, à juste titre. Il s’est donc mis à l’étude et n’y a pas perdu sa peine, puisqu’il a réussi à établir que la tradition d’après laquelle Henriette d’Angleterre aurait proposé un « sujet de concours » à Corneille et à Racine est une légende. Suivant

  1. G. Michaut, la Bérénice de Racine, 1 vol. in-18 (Société française d’imprimerie et de librairie).