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quand vous viendrez à paraître dans le monde. Je vous assure qu’après mon salut c’est la chose dont je suis le plus occupé. » Ces lignes donnent le ton : l’autorité qui s’accompagne de bonté, le respect qui adoucit la confiance, aucune pédagogie n’a trouvé mieux. Les mille et un détails de ménage, les lettres lues en famille, le bouquet apporté pour la fête, la belle carpe dont on régale M. Despréaux, l’orage dont on fut assailli en se rendant à Auteuil, la promenade à la foire où Louis Racine eut une telle peur de l’éléphant, et les nouvelles qui arrivent du cloître, et les débuts de Jean-Baptiste auprès de M. de Torcy, et ce mariage qu’on faillit lui arranger à son insu, mais dont Mme Racine ne voulut pas, parce que la jeune fille était rousse... quelle mine de renseignemens ! Et quels délicieux tableaux d’intérieur on pouvait faire, rien qu’en rapprochant les traits qui s’offrent à chaque ligne, intimes, touchans, charmans, instructifs !

Pour ce qui est de l’étude même du théâtre de Racine, la partie la plus ingénieuse en est celle où M. Jules Lemaître montre, non pas le romantisme qu’il enferme, — oh ! non, — mais certaines nouveautés que les romantiques auraient dû y apercevoir, s’ils n’avaient eu si furieuse envie de s’en attribuer à eux-mêmes l’invention. Il suffit au critique de pousser un peu le caractère d’Oreste pour en faire le premier des héros à la manière d’Antony. « C’est déjà l’homme fatal qui se croit victime de la société et du sort, marqué pour un malheur spécial, et qui s’enorgueillit de cette prédestination et qui, en même temps, s’en autorise pour se mettre au-dessus des lois. C’est déjà le réfractaire, le révolté aux déclamations frénétiques. » Seulement, tandis que les romantiques l’en admireront, Racine se contente de le plaindre. n le donne pour un malheureux, pour un malade, pour un fou qu’il faut mettre dans l’impossibilité de nuire. Romantique Ériphile, « amoureuse perverse d’Achille pour s’être sentie pressée dans les bras ensanglantés de ce jeune homme et y avoir un instant perdu connaissance... Ériphile qui se croit maudite, comme Hernani et Didier, et d’ailleurs s’en vante, et à cause de cela se croit tous les droits ; orgueilleuse du secret de sa naissance, du mystère de sa destinée, et du don fatal qu’elle possède, à ce qu’elle dit, de répandre le malheur autour d’elle. » Antiochus, qui soupire des vers d’amour si mélancoliques et d’une beauté si pure, a lui-même un peu de l’air d’un lamartinien. — La grande prétention des romantiques, c’était d’avoir les premiers deviné le sens de l’histoire et fait entrer dans la littérature dramatique la couleur locale 1 Et si l’on entend par là le bric-à-brac, les oripeaux et la friperie, cela est vrai. Mais la belle invention, pour en