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Racine a su dégager l’opinion qui a le plus de chances d’être exacte, et nous donner de l’homme et du poète un portrait vivant et ressemblant. Son livre est l’étude la plus pénétrante que nous ayons sur un sujet qui est au centre même de notre littérature Et il faut le remercier d’en avoir parlé, non pas seulement avec tant de finesse, mais avec tant de chaleur de cœur ! Il a eu des trouvailles d’expression pour définir la « fraîcheur d’enchantement » qu’apportait Andromaque ou pour célébrer la « merveille de Phèdre. »

« Faites-nous des Lettres persanes ! » disaient aux auteurs les libraires du XVIIIe siècle, comme si pour faire du Montesquieu il n’y avait qu’à le vouloir. Et nous, c’est à M. Jules Lemaître lui-même, si nous avions chance d’en être écouté, que nous dirions : « Faites-nous des Racine ! Faites-nous des Jean-Jacques Rousseau ! Vous les faites trop bien pour que cela vous ennuie beaucoup, et vous rendez ainsi aux lettres un si grand service ! » Car l’élite est encore nombreuse qui se plaît à voir retracer les grandes époques de notre art classique. Encore ne faut-il la laisser ni se disperser, ni se décourager. Elle a eu naguère de belles fêtes. Il y a quelques années, elle a pu, presque dans la même semaine, lire un Essai de Bourget, un Contemporain de Lemaître, une Vie littéraire d’Anatole France, une étude de Brunetière, de Vogüé, de Faguet. C’était une merveilleuse excitation à penser. Et je doute qu’on puisse, d’ici longtemps, revoir une pareille réunion d’écrivains à idées. Nous n’avons que plus de besoin qu’on écrive encore pour nous de ces études solides et délicates où, comme on eût dit jadis, l’agrément le dispute au savoir. Les livres de M. Jules Lemaître, dans sa nouvelle manière, sont incomparables pour entretenir et aviver cette ferveur littéraire qui est l’honneur de notre meilleure société. C’est pourquoi nous souhaitons que les deux volumes déjà parus, et accueillis avec une faveur unanime, soient le commencement d’une série.


RENE DOUMIC.