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Je vous raconte et je vous confie, mon cher monsieur, les petits incidens de ma vie. Je ne vous parle pas des grandes choses, vous les savez, car celles-là se voient. J’attends non sans inquiétude et, en attendant, je poursuis ma mission spéciale. Je crois qu’elle m’est bonne à moi, et j’espère qu’elle le sera pour le pays. Je désire du temps.


Au Château de Windsor, 19 août 1840.

Mon cher monsieur, j’ai du guignon pour M. Ampère. Les lettres où vous me parlez de lui m’arrivent toujours trop tard pour que mon intervention puisse lui être bonne à quelque chose. J’ai reçu la dernière au moment de monter en voiture pour venir ici. Évidemment, mes exhortations à M. Le Prévost n’auraient pas eu le temps de lui parvenir. J’espère qu’elles n’auront pas été nécessaires et qu’il sera parti pour Paris sur les instances de Mme Lenormant qui a grand crédit sur lui. Je regrette vraiment de n’avoir pu servir M. Ampère. J’ai pour lui beaucoup d’estime personnelle et littéraire et beaucoup de goût. J’espère bien qu’il aura réussi sans moi. Dites-lui de ma part tout ce qui pourra lui plaire. Je ne vous désavouerai de rien…

Je ne vous parle pas d’autre chose, mon cher monsieur, quoique j’eusse bien autre chose à vous dire. Rien ne supplée la conversation. Nous sommes engagés dans un pas difficile. Si nous en sortons bien, nous y grandirons beaucoup. Si nous n’en sortons pas, nous souffrirons beaucoup. J’espère et je travaille. J’ai été fort content de ma course à Eu. Je retrouve ici plus d’inquiétude que je n’y en avais laissé. C’est bon. Inquiétez profondément et ne menacez pas. Ce pays-ci est très peu aventureux et très fier. Il faut alarmer sa prévoyance et ne jamais s’adresser à la crainte.

Adieu, mon cher monsieur, mille amitiés. Je serais charmé qu’on vous fit faire une course à Londres.


MINISTÈRE DU 29 OCTOBRE 1840-1848

Ainsi qu’on l’a dit plus haut, la correspondance, sans cesser complètement pendant le grand ministère de Guizot, n’offre plus qu’un intérêt secondaire. Il n’y a point de lettres à proprement parler. Lavergne étant devenu sous-directeur au ministère des Affaires étrangères communiquait tous les jours et verbalement avec son chef. Ce sont des billets très courts ayant