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solennité universitaire qui réunit tous les trois ans tous les docteurs, maîtres ès arts, étudians et un grand public ; discours, collation de grades, prix, concert, 3 000 personnes dans une très belle hall. Là, dès que j’ai été aperçu, j’ai été reçu avec des hourras et des cheers prolongés, répétés, recommencés quatre ou cinq fois dans le cours de la séance, et plus enthusiastic (c’est le mot consacré, passez-le-moi) que n’en a obtenu le nom de la Reine elle-même. Voilà toute l’histoire qui m’a fait plaisir. Dites-la telle qu’elle est à Paris, où on mentira certainement, si on en parle. La jeunesse anglaise est plus ardemment conservative que ses pères. On m’assure que le même esprit règne dans l’Université de Cambridge, quoique whig par tradition. J’irai y voir en revenant d’Ecosse.

Ne croyez pourtant à rien de ce qu’on vous dira sur aucune chance prochaine de changement ici dans le Cabinet. Les whigs garderont le pouvoir parce que les torys sont toujours trop divisés, entre eux, pour l’exercer, et parce que presque tous les torys eux-mêmes veulent que les whigs le gardent, disant que le pouvoir rend les whigs modérés, tandis que, s’ils étaient dans l’opposition, ils se feraient radicaux, chartistes même, et amèneraient peut-être une nouvelle réforme, pour ne pas dire pis. Le bon sens domine ici l’ambition. J’ajoute, pour tout dire, que dans l’état actuel du monde, et ici comme ailleurs, l’ambition même est très timide, ce qui aide beaucoup au bon sens.


Brompton, 11 octobre 1848.

Votre lettre du 1er me plaît beaucoup, mon cher monsieur ; je suis charmé qu’en traversant la France et en rentrant dans Paris, vous ayez reçu l’impression dont vous me parlez. Le même fait me revient de toutes parts. Mais votre jugement est de ceux qui m’inspirent le plus de confiance. Évidemment nous marchons. Je ne suis point pressé ; je me suis trompé en ceci que j’ai trop cru à l’efficacité d-e la bonne politique, et trop tôt espéré la guérison du mal ; mais je ne me suis jamais trompé sur l’étendue du mal ; je l’ai toujours cru immense ; nous le démontrions en paroles ; il fallait qu’il fût senti en fait : Dieu seul a ce pouvoir là. Plus d’une fois, j’ai craint que l’intervention de ses coups ne fût indispensable. A-t-il déjà frappé assez fort ? Y voit-on déjà assez clair ? La réaction serait-elle suffisante ? Vous en pouvez juger mieux que moi. Nous avons l’esprit bien insolent