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officiers et civil servants de l’Inde, un soldat ou un marin pareil à tous les autres soldats et marins, — tous dédaigneux de l’excentricité, de la mélancolie, de l’émotion manifestée, de la parole ou du geste nerveux, tous respectueux d’eux-mêmes et de leur profession, et par leur belle tenue manifestant leur énergie et leur contentement intérieurs : quel témoignage du nouvel idéal de force et d’équilibre, et de sa puissance de prestige ! Évidemment l’art ne nous présente qu’une transposition du réel ; les personnages de Dickens ne sont pas toute l’humanité anglaise de 1845, ni ceux de Kipling toute celle de 1895. Mais de telles différences correspondent à des changemens réels. Ils nous sont un indice et, tout au moins, un symbole.

Il y a certainement moins de tristesse en Angleterre aujourd’hui qu’il y a cinquante ans. Le « vouloir vivre » y est plus fort ; l’homme y connaît plus d’espoirs et de joies, et cela pour des raisons dont quelques-unes seulement sont de l’ordre rêvé par Ruskin. C’est la législation interventionniste qui soustrait le travailleur aux plus durs automatismes de l’offre et de la demande, et le protège contre lui-même en l’empêchant de signer des contrats où il aliène trop de sa personne. C’est la lutte de l’État, des municipalités, des Églises, des sociétés privées contre le paupérisme, l’alcoolisme et l’ignorance. C’est l’augmentation des salaires, la diminution des heures de travail, tant de réformes dues, bien moins à des menaces populaires, à des grèves et des pressions de syndicats, qu’au sentiment croissant chez tous de leur solidarité civique et, chez les dirigeans, de ce devoir et de cette responsabilité que leur a si fortement répétés Ruskin.

De tout ce progrès moral et social la vie humaine a bénéficié. Mais d’autres efforts plus spécialement anglais traduisent d’une façon plus directe la volonté de la réjouir, de l’embellir et de la tonifier. À l’homme confiné tant d’heures par jour dans une fabrique et un bureau, à l’enfant surtout, — car c’est de la race que l’on se préoccupe, — on tâche à rendre un peu de cette nature où Ruskin a vu la source élémentaire de la vie. Grands parcs, réservoirs d’air pur, plus nombreux chaque année dans les villes populeuses ; vastes pelouses pour les jeux athlétiques, systématiques, « éducateurs, » qui sont aujourd’hui, grâce à tant de sociétés de cricket et de football, ceux de l’ouvrier, du petit commis, du clerk, du peuple, et non plus seulement, comme il y a quarante ans, des fils de gentlemen ; — « cités-jardins » où l’on