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humaine avec l’univers. Elle aussi, dont Ruskin a tant combattu le culte, nous indique les voies qu’il nous enseignait. Sur le bien de notre être physique et psychique, elle vérifie par ses enquêtes, analyses, dissections, ce que son instinct et ses intuitions lui montraient : à savoir que notre faculté de joie est fonction de notre énergie de vie, et que celle-ci s’assure et se maintient non seulement par l’hygiène du corps, mais par les disciplines de l’esprit, les fortes synthèses de croyance, de sentiment et de volonté qui construisent l’unité organique d’une âme, et fixant son équilibre, l’empêchant de se fragmenter en caprices, impulsions et velléités, l’orientant une fois pour toutes et tout entière, action et pensée, dans un sens précis, en font une force efficace, harmonique à son milieu, un élément de valeur pour son groupe.

Ce sont là des idées plus actives en Angleterre qu’ailleurs, et si nous la voyons achever avec un bonheur enviable sa métamorphose de nation moderne, c’en est peut-être tout le secret. Tel autre peuple, plus sentimental et plus audacieusement intellectuel, mais bien moins doué du sens de la vie, de ses complexités et de ses développemens, se concentre sur les problèmes de reconstruction sociale, et voit l’absolu dans des formules politiques non moins abstraites et fanatisantes qu’autrefois les dogmes théologiques. Les partis le déchirent ; il vit à l’état latent de guerre civile et religieuse. Les Anglais n’oublient pas que la politique n’est qu’un moyen, que le commencement et la fin de toute société, c’est la qualité de sa matière humaine. Monarchie constitutionnelle ou république, démocratie ou oligarchie, qu’importe, si la créature dégénère ? La première question à propos d’un peuple ne concerne pas son type de gouvernement ni même de société, mais ses statistiques d’alcoolisme, de suicides, de maladies nerveuses, de tuberculose, de paupérisme et de criminalité. Quel y est le niveau moyen et la qualité sociale de l’énergie humaine ? En second lieu, quelle sont ses forces spirituelles ? Que lui enseignent ses églises, ses écoles, sa presse, sa littérature ? N’en reçoit-il qu’excitation et surmenage des nerfs et du cerveau ? Lui disent-elles les idées morales, civiques, — vitales, — qui assembleront ses individus dans l’action commune, en persuadant à chacun de se subordonner aux fins communes ? Sa force est-elle celle de la Venise du haut moyen âge, jeune, pauvre, héroïque et croyante, ou de la Venise