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érotique et mourante des fastes et des carnavals ? Et s’il s’agit d’un peuple européen de notre siècle, tout se réduit à ceci : s’adapte-t-il vraiment aux grands faits généraux, si rapidement apparus, qui conditionnent aujourd’hui la vie humaine ? — progrès de l’idée scientifique et déterministe, laquelle, minant l’idée religieuse où s’appuyait la vieille morale, commence par détruire les disciplines qui fortifiaient les âmes, — progrès général, aux dépens des automatismes de sentiment et d’action, de la conscience lucide, de la raison raisonnante, lesquelles avertissent l’individu qu’en se dévouant il est dupe, et lui montrant clairement son intérêt particulier, le détournent du sacrifice aux fins du groupe et de l’espèce, — concentration de l’humanité dans les grandes villes où le travail, le plaisir et la douleur, bien plus intenses, fréquens, et cérébraux, les excitations de foule, l’exaltation de tous les appétits de conquête et de jouissance à mesure que s’accroissent nos pouvoirs sur la matière, usent si vite et profondément ce mystérieux tissu nerveux qui correspond le plus complètement à ce que nous appelons nous-même. Tels étant les caractères et les effets immédiats du nouveau milieu, comment un peuple y réagit-il ? Parvient-il à s’inventer une morale, une hygiène qui le mettent, corps et âme, en équilibre avec ce milieu ? En leur enseignant cette divinité de la vie, qu’il avait apprise, d’abord, de la beauté des formes, Ruskin a persuadé à beaucoup d’hommes en Angleterre que ce point de vue-là commande tous les autres.


ANDRE CHEVRILLON.