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TALLEYRAND ÉMIGRÉ

II[1]
EN AMÉRIQUE (1794-1796)


I

Echappé aux persécutions des hommes, Talleyrand allait avoir affaire aux fureurs des élémens. Son navire avait levé l’ancre vers le milieu de mars. A peine fut-il sorti de la Tamise qu’une tempête violente l’assaillit. Jouet de la tourmente, serait-il englouti par les flots ou brisé sur quelque rocher ? Talleyrand eut des heures d’angoisse. La terre était en vue. D’un côté, c’était la France : les pourvoyeurs d’échafaud l’y guettaient ; de l’autre, l’Angleterre : il en était proscrit ! Des pêcheurs de Falmouth aperçurent par bonheur le bâtiment en détresse. Bravement, ils vinrent à son secours et le ramenèrent au port. Il était temps ; ses agrès étaient brisés, il voguait à la dérive.

A Falmouth, tandis qu’on réparait le navire, Talleyrand, installé tant bien que mal dans une auberge de matelots, fit une curieuse rencontre. Son logeur s’était vanté devant lui d’avoir pour pensionnaire un général américain : il voulut le voir. L’homme avait l’air triste et las. Après un échange de politesses banales, il s’efforça de rompre l’entretien. Aux questions sur le Nouveau Monde, il ne répondit que par des mots évasifs et

  1. Voyez la Revue du 1er juillet.