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1852


Paris, 9 juin 1852.

Je pars dans trois jours pour le Val-Richer, mon cher monsieur. C’est grand dommage que Peyrusse en soit si loin. Si vos bois touchaient les miens, nous y ferions ensemble de longues promenades et de bonnes conversations. Ma fille Pauline est accouchée, le plus heureusement du monde, d’un gros garçon, et elle se remet aussi rapidement qu’elle est accouchée. Dieu me traite dans la vie domestique avec une grande bonté. J’emmène Guillaume avec moi ; ma fille aînée, qui est revenue de Rome en très bon état, ainsi que son mari, viendra me rejoindre dans quinze jours, et la cadette huit jours après. Une fois établi là avec mes deux ménages, j’y resterai jusqu’au mois de novembre au moins, tranquille et libre dans mon travail et mon loisir, ce dont personne, vous compris, ne jouit plus vivement que moi.

Ces jours-ci vont paraître deux volumes bien vraiment littéraires, Corneille et son temps, Shakspeare et son temps. Je me figure qu’ils vous amuseront. Comment dois-je m’y prendre pour vous les faire parvenir un peu vite ? Et quand vous les aurez lus, voulez-vous essayer de dire dans la Revue des Deux Mondes ce que vous en penserez ? J’en serais charmé.

Je n’ai rien à vous dire d’ici. Vous voyez, le Président a reconnu sensément qu’au dedans, il n’y avait pas une vive impulsion vers l’Empire et qu’au dehors, sa situation en serait plus embarrassée que grandie. Il ajourne donc. Il y a en lui un singulier mélange de ténacité et de patience, de hardiesse et de prudence. Il a des idées fixes et les poursuit imperturbablement, mais sans fougue, et en appréciant chaque jour les difficultés.

Il sait marcher à son but personnel ; apprendra-t-il à remplir sa mission publique, c’est-à-dire à gouverner ? Jusqu’ici, à mon avis, il ne se rend pas bien compte de sa situation comme gouvernement ; il admet trop peu d’opposition ou trop. Je doute qu’il réussisse à se maintenir dans le point où il s’est placé. Ce n’est certainement pas le juste milieu. A prendre les choses dans leur ensemble, elles sont à peu près telles que vous les avez laissées. L’eau coule, et il n’est au pouvoir de personne d’en détourner, ou d’en accélérer, ou d’en suspendre le cours.