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Des souffles humides montaient des pacages, des rizières et du fleuve assoupi dont je voyais briller, entre les branches, la face immobile et lunaire. Les grelots des chèvres tintaient faiblement, rumeur toute proche, perdue dans le silence déjà nocturne où se repliaient les sombres masses végétales. Mais, enflammant le ciel de nacre, des pourpres vives flottaient au-dessus des monts d’Arcadie. De légers nuages mauves s’étiraient autour du croissant, qui venait de surgir, délicat, limpide, comme avivé d’eau fraîche ; — et vers l’Ouest, à l’autre extrémité de la vallée, au bord des crêtes lointaines, les peupliers blancs découpaient de sveltes colonnes dans l’or rouge du crépuscule. La campagne suave devenait, à présent, magnifique. C’était un soir du Poussin, un paysage d’idylle qui s’achevait en apothéose. Tout resplendissait dans une vaste lueur vermeille, les ombelles des pins, les profondeurs moutonnantes des verdures. Au milieu des ruines, coupole d’émeraude dorée par le couchant, la colline du Kronion se voilait d’une brume imperceptible, comme un autel des sacrifices sous une fumée d’encens…

Cette vallée de silence, de recueillement et de piété était troublée, tous les quatre ans, par l’affluence des dévots et des gens de palestre. Sans doute, l’enceinte de Zeus n’était jamais vide, des pèlerins y défilaient quotidiennement, et la graisse des holocaustes ne cessait pas de grésiller sous les platanes de l’Altis. Mais, pendant la semaine olympique, — les jeux duraient cinq jours, — c’était un véritable envahissement. La vie régulière et monotone de la cité sainte en était suspendue.

Qu’on s’imagine, dans sa bigarrure, l’étrange ramassis de types méridionaux qui se pressaient, ces jours-là, autour du stade et de l’hippodrome ! Quel bariolage de physionomies et de costumes ! Ils étaient venus de l’Egypte, de la Cyrénaïque, de la Sicile, de l’Archipel et de l’Asie Mineure. La Grèce continentale fournissait à coup sûr le plus gros contingent : pugillistes, coureurs, éleveurs, propriétaires campagnards ou simples curieux. (Tous ne concouraient pas. Seuls, les Grecs d’origine avaient le droit de prendre part à la lutte.) Mais chacun des concurrens traînait avec soi un cortège de parens et d’amis, une domesticité nombreuse, des valets de pied, des cuisiniers, des cochers, des