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mystère même qui enveloppe encore aujourd’hui la destinée de ce fou monstrueux. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il vint ici, et que, par un de ces caprices dont il était coutumier, il s’y fit bâtira la hâte ce pied-à-terre où il ne demeura certainement pas plus de cinq ou six jours.

Il vint à Olympie en cabotin avide d’applaudissemens, en parvenu qui veut éblouir un pays pauvre par l’étalage du faste le plus insensé. Il y chanta, il ordonna même d’ouvrir tout exprès un concours de musique, — ce qui était, paraît-il, contraire à l’usage, — il s’exhiba en cocher sur un char attelé de dix chevaux, fit la culbute dans l’hippodrome, s’entêta à remonter et à reprendre les guides, et, finalement obligé de descendre, fut couronné quand même par un jury complaisant. Il laissa un cadeau à Jupiter, lui vola quelques statues, et, suivi de son cortège de parasites et d’eunuques, il repartit pour Rome, en coup de veut. Avec lui un tourbillon de démence avait passé sur la vallée paisible de l’Alphée ; le romantisme brutal et déséquilibré de l’Occident s’était abattu, pendant quelques jours, sur la terre classique de l’harmonie.

Il ne reparut jamais dans sa villa d’Olympie. Les loisirs lui manquèrent, et, sans doute aussi, le goût d’y revenir. Il avait dû s’y ennuyer, c’est probable ! Tout, dans l’Altis, ne pouvait que déplaire à cet être de violence et de démesure, tout y choquait ses instincts de mégalomane. Il trouvait cela petit, mesquin, misérable. L’art dont il était épris n’avait rien de commun avec celui de Phidias ; le calme paysage de l’Elide était un spectacle bien languissant pour ce perpétuel agité, et, lorsqu’il regardait le vallon de l’Alphée, sur la terrasse de son modeste logis, sans doute il rêvait déjà à sa Maison d’or, immense comme une ville, bariolée comme un bazar, et peuplée de bêtes fauves comme une ménagerie.

Pourtant, il ne nous sied pas trop de le mépriser, cet Italien corrompu, au cerveau de despote asiatique. Renan s’est plaint, dans des pages célèbres, d’apporter un « cœur gâté » aux pieds de Pallas-Athéna, — et c’est un peu le cas de nous tous. En vérité, le cœur et l’esprit d’un Néron étaient-ils plus gâtés que les nôtres ? Comprenons-nous mieux que lui cet art sobre et sévère, aux proportions tout humaines, qui enferma ses plus belles créations dans l’enceinte exiguë de l’Altis ? Serions-nous plus capables de nous plaire à Olympie ?… Je mets à part le paysage