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d’Apollon, le nid d’aigle où, comme un voleur de grands chemins, l’Archer céleste se tenait embusqué !

On a l’impression d’entrer dans un coupe-gorge.

En tous cas, la terrasse de Delphes est éminemment propice aux embuscades, et rien ne devait être plus facile à défendre que ce corridor tortueux, qui s’étrangle à chaque bout entre de hautes coulées rocheuses. Un tel avantage le désigna sûrement à la prudence des prêtres et aussi des peuples, pour y bâtir un sanctuaire. Apollon était riche. Autour de son temple, s’amoncelaient des offrandes accrues de siècle en siècle par la piété des pèlerins, la munificence ostentatoire des souverains et des républiques. Il fallait, autant que possible, soustraire tant d’or et de choses précieuses aux convoitises des brigands, des aventuriers, des envahisseurs étrangers. C’est donc tout d’abord pour des motifs d’utilité qu’on abrita le dieu pythien derrière cette farouche clôture de rochers, et non point pour des considérations toutes littéraires que nous, modernes, nous sommes trop enclins à déduire de la sauvagerie lumineuse du paysage et de son affinité avec le caractère de l’Apollon primitif… C’est cela qui frappe immédiatement, lorsqu’on arrive à Delphes : le hérissement belliqueux, l’altitude inexpugnable dû site ! La différence avec Olympie saute aux yeux, — Olympie, la ville des fêtes fraternelles, dont la vallée riante s’élargit et se pare tout exprès, pour recevoir et pour charmer les foules. Delphes, au contraire, est comme ramassée et repliée sur son trésor. Au lieu d’attirer, elle repousse. Son dieu avare menace d’une mort certaine quiconque s’aventure, avec de mauvais desseins, dans la caverne où il se tapît.

Quelquefois, la nature elle-même venait au secours d’Apollon attaqué. Hérodote nous raconte que, pendant la seconde guerre médique, un détachement de l’armée perse fut écrasé et rejeté dans le ravin de Castalie par d’énormes blocs qui se détachèrent du Parnasse. Secours dangereux qui pouvait se retourner contre la ville sainte ! En réalité, la terre de Pythô n’est pas sûre ! Elle tremble continuellement. Les sources sulfureuses qui affleurent à sa surface attestent la proximité d’un foyer volcanique encore en activité. Lorsque j’y étais, — tout à coup, par