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un ciel absolument pur, sans le moindre indice précurseur, — un grondement sourd retentit, pareil à un roulement de tonnerre. Une secousse suivie d’un fracas d’explosion se propagea à travers la terrasse, et les colonnes restaurées frémirent sur leurs bases… D’un jour à l’autre, toutes ces ruines qu’on a si laborieusement exhumées peuvent disparaître encore une fois, ou rouler dans la gorge des Phédriades.

Pour les anciens, ces grondemens souterrains étaient la manifestation terrible de la présence des dieux. La montagne fatidique tremblait, tout entière, entre leurs mains. Delphes était un lieu de terreurs religieuses : épouvantes devant la colère divine, qu’on entendait tonner et se répercuter dans les échos de la gorge sinistre, — épouvantes devant les révélations de l’oracle que l’on venait consulter, le voile de l’avenir pouvant se déchirer sur des catastrophes, des engendremens de crimes involontaires. Et Delphes exerçait aussi un magistère moral qui effrayait les mauvaises consciences. Elle excluait les grands coupables, les sacrilèges et les parricides. Néron, se souvenant de sa mère, n’osa pas franchir le seuil du temple d’Apollon.

Ce lieu sévère a pourtant une grâce : Castalie, la source très pure qui descend du Parnasse et qui partageait avec Cassotis, — une autre petite source plus proche du temple, — le privilège de favoriser l’inspiration poétique. C’est un mince filet d’eau qui filtre goutte à goutte du flanc de la roche Hyampeia, la sombre muraille dressée à l’Est de la terrasse delphique. L’eau se recueille dans un réservoir pratiqué à même le rocher et, de là, elle se répand dans un bassin quadrangulaire, qu’on appelait le Bain de la Pythie. La paroi supérieure est percée d’une foule de niches de toute dimension, les unes assez grandes pour recevoir une statue, les autres, minuscules comme des nids d’abeilles, où brûlaient des lampes perpétuelles. En somme, une piscine de Lourdes, moins les vertus médicatrices ! Elle en avait d’autres : elle était inspiratrice et purifiante. Les sibylles devaient s’y plonger chaque jour, avant de s’asseoir sur le trépied, et les pèlerins n’étaient admis à l’intérieur du temple, qu’après y avoir fait leurs ablutions.

Aujourd’hui, elle n’abreuve plus que les mulets des paysans qui descendent vers les bourgs d’Itéa ou d’Arachova, et son trop-plein s’emploie à faire pousser un magnifique platane penché tout au bord du ravin des Phédriades. Sous ce platane géant,