Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/647

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tragiques de la conscience, ce premier et douloureux effort pour résoudre l’antinomie du destin et de la liberté humaine. Pindare, l’homme d’Olympie, le chantre des fêtes et des triomphes, semble étranger à ces graves questions. Il a beau s’asseoir sous le laurier de Delphes, il apporte ici, dans cette austère enceinte, la Grèce légère, éclatante et joyeuse des bords de l’Alphée…

Pour moi, ce que j’aimais surtout de cet étrange paysage, c’était la terrassante splendeur des pleins-midis : une réverbération aussi intense que dans les solitudes africaines ! Et, à travers les échancrures des roches, la mer laiteuse et pâle, immobile entre les bras des promontoires, comme un fleuve libyque… On finit par croire que c’est ici la caverne d’où s’élance la Lumière, on songe aux flèches mortelles d’Apollon conducteur du soleil, et, la tête bourdonnante, les paupières incendiées, on a peur de ne pouvoir soutenir une telle flamme…

Contrairement à celles d’Olympie, les ruines de Delphes ne sont point diminuées par la nature environnante. Elles ont un relief inattendu. En sont-elles redevables aux soins diligens et à la belle méthode de l’Ecole française qui a conduit les fouilles, ou seulement à la nudité des montagnes qui les entourent et qui leur laissent toute leur valeur ?

Ce qu’il y a de sûr, c’est que le plan de la ville et du sanctuaire se présente avec une netteté parfaite. On reconnaît sans peine tous les édifices mentionnés par les voyageurs anciens : le temple du Dieu, les colonnes votives, les trésors, la Lesché des Cnidiens décorée autrefois de peintures par Polygnote, le théâtre, — merveilleux de conservation, étonnant d’acoustique, — le Stade surtout où l’on pourrait, demain, donner des jeux ; si l’on voulait. On peut suivre toutes les étapes des pèlerins ; depuis la fontaine de Castalie, en passant par la voie sacrée… Sur la pente inclinée de la terrasse, les marbres des colonnes, les pierres des pavés et des soubassemens forment un grand carré de blancheurs au milieu des roches grises ou violacées du Parnasse. On dirait que la vie est absente de ce désert pétré et sans verdure, comme ces « paysages artificiels » faits uniquement d’essences minérales, que la fantaisie morbide d’un Baudelaire se complaisait à évoquer. Avec leurs rides, leurs crevasses,