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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/649

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signifie une dépendance de l’homme vis-à-vis des dieux, des rapports constans avec eux, un code minutieux réglant ces rapports, tout un ensemble de sentimens et de pratiques dont nous n’avons plus idée. A Delphes, dans l’entonnoir sinistre des Phédriades, près du soupirail d’où s’échappait la fumée prophétique, au milieu des nombreux autels où l’on saignait des animaux du matin au soir, ces sentimens oblitérés, ces pratiques dont nous ne voulons plus nous souvenir, reprennent une vie inquiétante. Nous commençons à soupçonner que la religion d’un peuple est presque tout entière dans ses rites. Et ces rites, probablement, nous eussent indignés, nous eussent paru dégoûtans ou ridicules !… Que nous voilà loin des Panathénées chimériques de nos poètes, — des blanches Canéphores et des pures hosties du sacrifice, — ces Panathénées en marbre qui n’ont jamais existé que dans l’imagination de Phidias !…

Le musée de Delphes nous fournit encore d’autres enseignemens non moins suggestifs. Il nous montre la Grèce des origines envahie par l’Egypte et l’Asie sémitique. Sans doute, les archéologues nous avaient avertis déjà de toutes ces influences extérieures. Ils nous ont révélé des civilisations mycéniennes, chypriotes, égéennes, crétoises, qui, toutes, s’apparentent plus ou moins aux civilisations orientales. Mais ces notions restaient, pour ainsi dire, abstraites et isolées dans notre esprit. Nous n’avions pas l’intuition de leur réalité historique, de la coexistence et du mélange, dans l’art grec primitif, des élémens asiatiques ou égyptiens et des élémens nationaux.

Dès le seuil du Musée, l’Aurige de bronze, avec ses gros yeux à fleur de tête, sa longue tunique flottante, pareille à la galabieh des fellahs du Caire, nous illustre d’une manière saisissante l’idée d’une Grèce mélangée d’Orient. Ce superbe morceau, d’un simplisme encore archaïque, manifeste cependant, — comme telle statue de Memphis, — un souci du réel, auquel la sculpture classique ne nous avait point accoutumé. Il est, par certains détails, étrange et imprévu. Mais ce qui l’est tout à fait, c’est la façade reconstituée du Trésor de Cnide. On a un moment d’hésitation. Ce fourmillement de figures, cette complication ornementale, ces formes rudes et tourmentées vous rappellent tout à coup les tympans surchargés et bizarres de nos églises romanes. La pensée oscille entre le moyen âge et la Grèce du VIIe siècle, — tellement tous les archaïsmes se ressemblent ! On