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Anglais pense avec Lawrence[1], alors professeur de droit maritime au Royal Naval College, que, laisser la guerre se munir de vitesse chez les neutres, c’est l’encourager en lui procurant ses moyens. Mais si cette doctrine était admise, les grandes nations, entraînées dans les voies dangereuses de l’impérialisme, iraient acquérir, fût-ce par la force, des stations lointaines et, dès aujourd’hui, demanderaient à la guerre les moyens de se recommencer demain : n’est-ce pas quand l’Angleterre, avec Lawrence, prétendit refuser le combustible que l’Allemagne chercha vers le Maroc, — Mogador ou Casablanca, — les stations devenues nécessaires à la guerre maritime, après avoir vainement proposé, dans un article, trop peu remarqué, du professeur Schiemann[2], l’internationalisation des dépôts de charbon ? Et, du point de vue de la limitation des arméniens, si le ravitaillement est refusé, n’est-ce pas une prime à la construction de navires plus grands, donc plus coûteux ?

Ainsi peut-on aisément penser que, dans le sanctuaire de la pure équité, parlât à ses fidèles le Dieu de la paix évoqué par M. de Martens : Dieu inconnu, disait-il, — mais plutôt méconnu, — dont les nations entendent les oracles en s’attristant de ne pouvoir les écouter. C’est que le droit des gens n’est pas une pure abstraction, c’est un coefficient de victoire. Il devrait n’être qu’un juge, et c’est un allié. Inviter certaines nations à l’accepter, c’est leur proposer de s’affaiblir. Aussi, la vraie question n’est pas : tel système est-il juste ? mais : est-il sans danger ? Il ne s’agit pas de savoir ce qui est humain, mais ce que permet la garde sacrée des intérêts de la patrie.


II

Heureuses les nations qui, par leur intérêt du moment, sont d’accord en tous points avec l’idéal humanitaire ; elles recueilleront aisément ce que Nesselrode appelait la « couronne de gloire de la diplomatie. » Le Brésil est dans l’impossibilité de vivre si la respiration maritime lui est coupée. Respect de la propriété privée ennemie, abolition de la contrebande, et même du blocus

  1. Lawrence, War and neutrality in the Far East, London, 1904.
  2. T. Schiemann, Deutschland und die grosse Politik, année 1904, Berlin, 1905, p. 60-61.