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désintéressement, au lieu d’un diplomate, trop soupçonné de professionnelle habileté, choisit, pour chef de sa délégation, un juriste éminemment respecté : sir E. Fry donne par son caractère, et jusque par sa physionomie puritaine de quaker, à toutes les propositions britanniques, la marque d’une très haute et très pure valeur morale.

À cette stratégie, visiblement dirigée contre elle, l’Allemagne répond par une tactique serrée, qu’un de ses plus fins diplomates, le baron Marschall de Bieberstein, mène avec un art impérieux de belle humeur, d’affabilité, d’optimisme. Désireux de faire sortir l’Allemagne de l’isolement d’Algésiras, il affecte vis-à-vis de l’œuvre de La Haye, jadis mal vue de l’Allemagne, un esprit nouveau. Le comte de Munster, en 1899, avait représenté l’Allemagne rétrograde ; le baron Marschall, en 1907, représente l’Allemagne libérale, et, contre l’Angleterre, s’attache à former le bloc continental.

A démasquer d’un trait discret et sûr, pénétrant et léger, l’humanitarisme limité par l’intérêt qui fait le fond de la politique anglaise, il met l’adresse vigilante d’une attitude détachée.

Quand les Etats-Unis demandent le respect de la propriété ennemie, et l’Angleterre le respect de la propriété neutre, l’Allemagne est embarrassée. Car, à ces doctrines libérales, son commerce maritime, sans cesse accru, trouverait un visible avantage : en 1885, alors que la France, en Chine, voulait saisir le riz, trente-trois maisons de Hambourg, alarmées, se prononcèrent contre la contrebande des vivres ; et d’autre part, les Chambres de commerce allemandes ont, à maintes reprises, réclamé la liberté du commerce ennemi. Mais, si tel est le désir du négoce allemand, il suffit que l’Angleterre demande la suppression de la contrebande et songe à l’invulnérabilité de la propriété ennemie, pour qu’immédiatement le clan des pangermanistes réclame impérieusement les principes contraires, ardemment affirmés par leur chef, le comte de Reventlow. Dans sa brochure intitulée : Avant la Conférence de la Haye[1], il écrit sans ambages que, dans l’hypothèse d’une guerre avec l’Angleterre, l’Allemagne devrait s’en tenir à tout hasard à ce principe que les vivres sont

  1. Reventlow, Weltfrieden oder Wellkrieg ! Wohin geht Deutschlands Wea ? Vor der Haager Friedenskonferenz, Berlin, 1907.