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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/715

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donné d’assister ; et rien, la veille encore du jour où il s’est produit, ne le faisait prévoir. Il est tout aussi difficile d’en prévoir les suites. Nous devons donc nous borner, pour le moment, au rôle de narrateur. On assistait depuis quelques mois à une nouvelle crise de ce mal balkanique avec lequel l’Europe vit depuis longtemps, et dont le caractère ressemble un peu à celui des torrens, des montagnes, qui s’enflent parfois en quelques minutes et deviennent un fleuve impétueux, puis se désenflent et se vident en non moins de temps. Mais il semblait bien, cette fois, que le torrent ne s’écoulerait pas si vite. La crise balkanique se compliquait, en effet, de quelques élémens nouveaux, qui étaient de nature à la rendre plus grave, plus longue, plus inextricable. Nous disons la crise balkanique plutôt que la crise macédonienne, parce que la Macédoine, en ce moment surtout, ne peut pas être détachée des pays voisins qui agissent habituellement sur elle beaucoup plus qu’elle n’agit sur eux.

La situation de la malheureuse péninsule est connue de nos lecteurs : ils n’ont pas oublié le tableau qu’en a tracé M. René Pinon. Le malheur de la Macédoine est qu’il n’y a pas de nationalité macédonienne. Il y a une nationalité hellénique, avec laquelle on a pu constituer le royaume de Grèce. Il y a une nationalité bulgare, avec laquelle on a pu constituer la principauté de Bulgarie. Il y a une nationalité serbe, avec laquelle on a constitué le royaume de Serbie. Nous négligeons pour le moment les fractions. Mais la nationalité macédonienne n’existe pas. Le Macédonien, en tant qu’être spécifique, n’a jamais été vu par personne. Montrez un habitant de la Macédoine à un Grec, il vous dira tout de suite : c’est un Grec. Montrez-le même à un Bulgare, il vous dira non moins affirmativement : c’est un Bulgare. Et enfin, si vous le montrez à un Serbe, le Serbe reconnaîtra en lui un compatriote et le proclamera bien haut. Et, en effet, le Macédonien sera, ou un Grec, ou un Bulgare, ou un Serbe, à moins toutefois qu’il ne soit un Turc, car les Turcs comptent aussi, et pour beaucoup, dans la nomenclature des populations macédoniennes. De ce mélange il n’est jamais sorti une combinaison, comme disent les chimistes, c’est-à-dire un être nouveau, différent de ses élémens primitifs, ayant conquis une personnalité politique et une nationalité propres. De tout cela, les Grecs concluent que la Macédoine n’étant, à peu de chose près, peuplée que de Grecs, doit faire retour à la Grèce. Les Bulgares, qui n’y voient que des Bulgares, prétendent aussi qu’elle doit leur appartenir. Et les Serbes, ayant fait non moins scrupuleusement une constatation du même genre, ne sauraient souffrir qu’elle