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à la disséquer, à l’analyser ; il en décomposa les ressorts et en vérifia un à un les élémens ; il s’acharna sur elle avec une joie sauvage, celle du carabin qui tâte une plaie. Il conçut quelque fierté à constater l’invraisemblance de son destin, le caractère de plénitude de son malheur. Il remarqua enfin, — à quoi du reste il savait devoir aboutir, — qu’à force de contempler sa souffrance, de l’interroger, de la palper, de tendre à s’en faire un ami ou un compagnon, il commençait en effet de moins souffrir.

Dès l’instant qu’il se fut rendu compte de cela, il sentit le besoin de mettre quelqu’un dans la confidence de son état : non qu’il se souciât d’être consolé, — il n’en était plus là, et, d’ailleurs, il se fût méprisé d’appeler sur lui, dans une telle circonstance, la pitié d’un de ses semblables, — mais parce que, à la veille de reprendre pied dans la société des hommes, il comprenait qu’il n’y pouvait plus reparaître comme devant, et que, dans les résolutions qu’il allait prendre, une aide quelconque, un bon conseil ne lui serait point inutile. Je ne sais quelle timidité le retint de s’aller confier à Raimbault. Renonçant, dès lors, à consulter directement, il eut recours à un moyen terme, fit chercher, chez son libraire, les derniers romans parus, dans l’espoir d’y trouver quelque indication, quelque recette dont il eût pu faire son profit. De plats adultères, contés sans art, couvrant de leur ignominie les trois cents pages de rigueur, ne lui donnèrent que du dégoût. « Pouah ! » fit-il, en rejetant dans un coin les cinq volumes, récemment édités, qu’il avait pris la peine de parcourir.

Il se leva, découragé, fit quelques pas dans la direction de sa bibliothèque. Il y avisa un bouquin de petit format, relié en veau, qu’il savait être l’Introduction à la vie dévote de François de Sales, l’ouvrit au hasard et lut : « Vous connaîtrez l’amitié mondaine d’avec la sainte et la vertueuse, comme l’on connaît le miel d’Héraclée d’avec l’autre. Le miel d’Héraclée est plus doux à la langue que le miel ordinaire, à raison de l’aconit qui lui donne un surcroît de douceur : et l’amitié mondaine produit ordinairement un grand amas de paroles emmiellées, une cajolerie de petits mots passionnés… etc. » Olivier se surprit à sourire devant cette langue confite, d’une saveur presque écœurante, onctueuse comme un fondant, chargée d’épithètes sucrées et d’adjectifs aromatiques. Il referma le livre, le replaça sur son rayon.