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— Quel singulier apôtre, prononça-t-il, que ce François de Sales ! Je ne mordrai décidément jamais à ses bonbons spirituels.

Dans l’état où il se trouvait, il se fût fort accommodé de quelque thèse extravagante, introduite et menée vigoureusement, à la manière de Jean-Jacques. De ses mains, qui s’égaraient, fouilleuses, derrière les rayons poudreux, il ramena, comme par hasard, quelques opuscules de Tertullien, le sombre docteur de Carthage, sur les Spectacles, la Chasteté, les Secondes noces, la Parure des femmes. Il les avait achetées, naguère, ces plaquettes toutes jaunies, pour ce qu’il y avait flairé de curieuses révélations sur les turpitudes de la société romaine à son point d’extrême maturité. Il y avait à peine remarqué, alors, les colères de l’Africain, d’autant plus ardent à flétrir la chair et ses déportemens, qu’il sentait fermenter en lui toutes les fièvres du désert. Et maintenant, ce qui ravissait le jeune homme dans ces pages qu’il s’était mis à dévorer, c’était précisément l’allure et le ton du rude censeur, ses cruautés, ses outrances même. Il lui savait gré de ses invectives, dont il flagellait l’Eve carnassière, ses charmes trompeurs, ses artifices criminels, « ses sollicitudes pour mettre en œuvre une beauté déjà trop dangereuse par elle-même. »

Ah ! celui-là parlait un langage qu’il entendait !

Mais comment dire la stupéfaction d’Olivier, tandis qu’il avançait dans sa lecture, et qu’il découvrait l’homme sous le docteur, l’époux désenchanté sous le théologien bourru ! Une réflexion l’arrêta surtout, qui en disait long dans sa brièveté : « Les femmes d’ordinaire peuvent être aimées plus qu’elles ne sont capables d’aimer. » Cela correspondait trop bien à son sentiment personnel, pour qu’il se refusât l’intime volupté d’en ruminer sans fin la saveur cruelle. Il revécut, à cette occasion, tout son passé, s’ingéniant à ressaisir, sous les cendres déposées en lui par ses multiples aventures, les raisons qu’il avait de tenir pour vrai le mot de Tertullien. Il conçut pour l’homme d’Eglise, — qui, quoique marié, selon la coutume d’alors, poussait le rigorisme jusqu’à voir dans les secondes noces « une fornication déguisée, » — une admiration sans limites. En d’autres temps, il eût sans doute discuté cette thèse excessive, reprise au XIXe siècle par Auguste Comte, sur les « secondes noces. » Mais la logique de ses rancunes ne comportait point de