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affleuraient le regard d’angoisse et le sourire douloureux de Madeleine Raimbault.

Il venait de se produire, dans le moment précis où Le Hagre poussait son cri, un de ces phénomènes de suggestion à distance que la science essaie, avec plus ou moins de succès, d’expliquer, qui ne rentrent dans aucune de nos disciplines établies, et qui nous troublent infiniment, lors même qu’ils sont, comme c’était le cas, des messagers de bonheur. Dans l’état où il se trouvait, Olivier devait conclure, et il conclut en effet, à une hallucination. Et néanmoins, tout au fond de sa conscience, et après le premier sursaut et la première conjecture, un travail avait commencé de se faire, qui devait aboutir à un résultat voisin de la vérité. Il ne savait, à vrai dire, rien, ou si peu que rien, du passé moral de Madeleine. Il ne se doutait absolument pas, une seconde avant l’événement qui allait décider de son avenir, du secret penchant de la jeune fille pour lui. Et cependant, elle se mourait littéralement d’amour.

C’était un amour d’une espèce exquise, virginal et passionné, folie non des sens, — ou si peu, — mais du cœur, amour de vestale, non de Phryné. Cette sorte d’état mystique, fait de désespoir et d’adoration, de mortelle attente et de dévouement impatient de s’employer, est le privilège des vierges fortes. Si ce désir n’a pas encore trouvé son objet, il s’en crée un de toutes pièces, s’égare momentanément dans le royaume des chimères, et s’essaime dans l’irréel ; ou s’il l’a trouvé, il s’enchaîne à lui par un lien définitif, et se désintéresse pour toujours de tout ce qui n’est pas ce qui l’a charmé. La passion, ainsi comprise, est une manière de religion ; chez la jeune fille, elle est tendresse, don immatériel, charité ; mais quand, plus tard, les sens s’éveillent par là-dessus, il naît cette chose rare, intense et belle, bonne et féconde par surcroît, et qui défie le temps et la mort, un grand amour.

Le drame dont le cœur même de Madeleine était le théâtre offrait cette particularité d’être à peu près impossible à dénouer par les moyens ordinaires, l’un des acteurs n’y jouant un rôle qu’à son insu, et opérant pour ainsi dire à distance. D’autant plus tragique était la situation où le principal personnage, Madeleine, était engagé. Elle adorait en silence, et se dévouait en son âme à un être qui semblait la fuir, qui, en réalité, l’ignorait ; et comme elle n’eût jamais consenti à un aveu, son pauvre