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— Oui, dit-il enfin, emporté par son besoin de savoir, d’être fixé sur les sentimens de Madeleine à son égard. Il s’était donné comme prétexte la tante malade, et l’obligation qui en résultait pour lui d’en prendre des nouvelles.

Il grimpa lestement jusqu’au premier étage, et fut introduit par un valet de pied dans le salon-boudoir où se tenait généralement Mme Raimbault. Madeleine parut un instant après, vint à lui sans marquer aucune surprise, ni manifester une gêne quelconque. Elle était mise simplement, et retenait d’une main le boa blanc jeté autour de son cou, tandis qu’elle tendait l’autre à Le Hagre. En constatant l’effet en apparence tout négatif de sa présence, Olivier jugea aussitôt qu’il n’était point l’élu de ce jeune cœur. Il en prit son parti tout de suite, et respira presque avec bonheur, tant son angoisse avait été forte. Il se mit en devoir d’être aimable, comme il l’eût fait à n’importe quel autre moment, avec n’importe quelle autre personne dont il ne sollicitait ni n’attendait rien. Il demanda des nouvelles de la tante, articula des banalités sur ce ton négligent qui donne une saveur aux choses qu’on dit, fussent-elles stupides, par la raison qu’en les disant ou a bien l’air de les prendre pour ce qu’elles valent. Il ne se doutait pas que c’était là, pour la grave et farouche enfant qu’était Madeleine, l’une de ses principales séductions. Elle l’aimait pour cet arrière-fonds d’amertume qu’elle discernait, chez lui, sous ses moindres propos, sous leur accent si particulier.

Assise sur un divan bas, le bras gauche enroulé autour d’un coussin, Madeleine sentait s’en aller son assurance du début. Elle s’était promis d’être énergique, et avait réussi à maîtriser son trouble au point de donner le change à Le Hagre sur le véritable état de son âme. Mais le charme agissait sur elle, à mesure que la voix chère égrenait ses syllabes d’or. Elle se taisait maintenant, si douce en sa soumission qu’accusait son buste penché, si gracieuse en son maintien de madone silencieuse ! Olivier posait des questions ; elle ne répondait plus. Son teint d’une pâleur de neige encadrait ses grands yeux démens, ces yeux de mystère où l’amour, ainsi qu’un affamé, errait, criait son instante prière. Au coin des lèvres apparaissait la fleur d’ombre, le pli navré de la douleur qui tâche à sourire. Une épouvante saisit Olivier devant cette vierge immobile, et ce visage qui reproduisait, trait pour trait, l’image aperçue la veille, dans la langueur du ciel