des deux jeunes gens, à l’exaspérer. Mais en même temps que sa passion, l’amant de Madeleine sentait croître en lui un remords. Car s’il comprenait, en un sens, l’opposition de Mme Raimbault, et la négligeait, l’attitude de son vieil ami le surprenait un peu, mais surtout le contristait. Il avait cru d’abord que Raimbault approuvait ; il le croyait toujours, dans le fond, puisqu’on le priait à dîner sans cesse, et qu’on insistait pour l’avoir. Mais la réserve, l’apparente indifférence où se cantonnait son ami était pour lui une énigme, obsédante comme un cauchemar, et tourmentante infiniment, car il en cherchait vainement le mot. Il finit, en véritable amoureux, par adopter l’hypothèse que Raimbault était décidé à le repousser, et qu’il n’osait pas, eu égard à leur amitié, lui signifier ouvertement sa décision.
Quand il se fut persuadé de cela, par une suite d’argumens aussi insensés que la passion qui le possédait, Olivier en perdit presque la raison. Il arpentait fiévreusement l’étroit espace de son cabinet de travail, retournait l’hypothèse dans son esprit, puis s’arrêtait, stupide, et la considérait, les yeux hagards, comme un condamné à qui l’on présente son arrêt de mort. Liée à son idée, l’image de Madeleine fixait tout autant son attention. Il revoyait la jeune fille, telle qu’elle lui était apparue depuis un mois, dans la sincérité de son être jeune, ardent, exquis et fort ; il l’entendait lui dire, de sa voix grave, et si étrangement timbrée qu’elle lui remuait les entrailles, ces choses que l’amour inspire, et qui s’accommodaient, chez elle, de je ne sais quelle âpreté, diffuse en ses moindres élans, immanente à tous ses désirs, et mordante au cœur de l’aimé ainsi qu’une flamme dévoratrice. Il se rappelait telle parole d’elle, et puis telle autre, celle-ci par exemple : « Je n’aime pas Juliette Formont ; elle est superficielle comme une femme constamment heureuse. » Par cette simple remarque, émise au hasard d’une conversation, Madeleine donnait sa mesure, et rien n’émouvait plus Olivier que ce mélange d’une jeunesse intacte unie, chez elle, à cette expérience des choses du cœur que donne, à celles qui la peuvent porter sans fléchir, la bonne souffrance. Il en venait à se dire que celles-là seules savent aimer, qui ont beaucoup souffert, et que la vie a blessées sans les abattre, et sans tarir en elles les sources du sentiment. Et voici qu’ayant rencontré l’une de celles-là, il l’allait perdre, et par la volonté de son meilleur ami. Etait-ce possible ?