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Il avait refusé, la veille, une invitation de Raimbault, ne se sentant pas le courage d’affronter encore, surtout après la conviction qui s’était faite en lui, l’énigmatique regard du père de Madeleine. Celle-ci conclut, de ce refus, que son amour était en péril ; et comme elle était de la race des audacieuses, de celles qui ne subissent le destin qu’après s’être mesurées avec lui, elle jura de vaincre l’obstination de sa mère, et de souffler à son père, — à ce complice chez qui elle discernait, depuis quelque temps, une sorte de timidité et comme une inertie, — un peu de cette virtù qui était en elle, et qui l’allait élever à cette place d’arbitre qui échoit naturellement à la Force, dans les situations difficiles ou tendues. Mme Raimbault comprit qu’elle n’aurait pas raison d’un amour aussi entreprenant, et qui, en dernière analyse, était légitime ; aussi finit-elle par céder. Raimbault, lui, n’attendait que le consentement de sa femme, pour sanctionner ce même amour qui avait grandi, poussé comme un bel arbre robuste, à l’abri de ses complaisances. Il promit à sa fille de se rendre, dès le lendemain, chez Olivier, et de dissiper, autant qu’il était en lui, la fâcheuse impression que son attitude de ces dernières semaines avait produite sur son ami.

Il était dix heures un quart du matin, quand il sonna chez ce dernier. Il fut introduit aussitôt, et trouva Le Hagre en train de griffonner une lettre, la dixième qu’il essayait de rédiger, sans qu’il pût mettre la main sur une formule qui le satisfit, du qu’il jugeât susceptible de lui valoir, à coup sûr, au moins l’indulgence ou la pitié de Raimbault. Il s’avança vers son visiteur sans mot dire, et lui serra la main.

— Nous vous avons beaucoup regretté, hier, fit Raimbault.

L’autre n’écoutait pas ; il sentait que sa destinée allait se décider à cette minute, et il entraînait Raimbault, qui se laissait faire, vers le divan où ils s’assirent l’un à côté de l’autre. Le corps du jeune homme se plia en un mouvement de supplication. Il murmurait :

— Soyez bon, ne me repoussez pas ; mon avenir, mon bonheur sont entre vos mains. Vous êtes mon ami, acceptez d’être mon père. Comprenez-moi : j’aime Madeleine, je l’aime follement ; elle est toute ma pensée, depuis des semaines ; elle est au-dessus de ce que j’ai pu rêver de plus beau, de plus délient et de plus fort ; et je sens que, si vous me la refusez, je n’ai plus, plus aucune raison de vivre.