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— Grand fou, répondit simplement Raimbault, qui sentait les larmes lui monter aux yeux ; elle est à vous depuis toujours.

Olivier s’abattit sur la poitrine de son vieil ami, qui l’enveloppa de ses bras tremblans.

— Mon fils, mon cher fils, répétait celui-ci, avec un sanglot dans la voix.

Quand les deux hommes se furent quittés, après s’être embrassés une dernière fois, Olivier ne se posséda plus. Il allait et venait, dans son appartement, comme pris dans un tourbillon ; il ne marchait plus, il bondissait. Il se portait d’un objet à un autre, déplaçait les meubles sur son passage, ou les soulevait, impassibles témoins de son orageux délire. Il finit par tomber, brisé de fatigue et d’émotion, dans un fauteuil. Il s’y assoupit, dans une sorte de ravissement très doux, avec une extase dans les yeux : noyée en un halo suavement rose, Madeleine était là, devant lui, qui lui souriait.


VIII

Les passagers du Donaï, — ancien courrier d’Extrême-Orient affecté, depuis peu, au service des grandes Echelles, Constantinople, Smyrne, Beyrouth, Alexandrie, — se répandaient sur le pont, après le dîner, le premier que cette foule composite eût pris à bord, puisqu’on venait à peine de quitter Marseille. Toute la journée, Madeleine et Olivier avaient erré dans l’amusante cité, mi-africaine, mi-levantine, au demeurant « marseillaise » avant tout, « marseillaise » irréductiblement. Mariés de la veille, ils avaient fui Paris, impatiens de mettre l’espace entre eux et l’excédante Ville, encombrée de caillettes et d’importuns. Ils avaient débarqué, le matin même, à Marseille, et, en attendant l’heure du vrai départ, de l’adieu à la terre ferme, ils s’étaient divertis au spectacle charmant, divers, que donne libéralement notre grand port méditerranéen. Étendus, tout à l’arrière du paquebot, sur deux chaises longues en osier, ils s’attardaient au souvenir de ce carnaval permanent, de cette fête de couleurs, dont l’obsédante vision emplissait encore leurs yeux. Spahis en congé, Arabes en voyage, trafiquans venus de très loin, des Indes ou de l’Archipel, figures graves de Parsis ou ricanantes d’Abyssins, turbans, burnous, fez et chéchias, et les poulettes barbaresques et les commères indigènes, tout cela se