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richesses publiques couleront à pleins bords, alors, pour la première fois, l’étroit horizon du droit bourgeois sera dépassé, et la société inscrira sur ses drapeaux : De chacun selon sa capacité, à chacun selon ses besoins. » Ce sera l’ère du communisme dans la consommation, comme dans la production et la distribution.

Les communistes n’osent pas dire : A chacun selon ses désirs. Une telle règle de droit n’aurait assurément rien de moral ni de juste ; elle serait plutôt la consécration de l’immoralité, de l’égoïsme et de l’injustice, dans un monde où les désirs sont illimités et les moyens de les satisfaire très limités. Les communistes disent donc : A chacun selon ses besoins. — La maxime est toujours égoïste, mais on peut dire qu’elle exprime l’égoïsme permis ou même nécessaire. Seulement, il faudra s’entendre sur les besoins, mesure du droit, ce qui n’est pas facile ; il faudra distinguer les besoins vraiment nécessaires de ceux qui sont en réalité superflus. Il faudra faire la part des besoins matériels, des besoins intellectuels, esthétiques, moraux. Ces trois dernières catégories de besoins ne se laissent pas mesurer. De plus, le besoin varie avec l’individu : le sobre a moins de besoins que le gourmand, et il est douteux que la gourmandise crée un droit Celui qui est indifférent aux choses de l’esprit n’éprouve pas le besoin de s’instruire. Enfin et surtout, la production fournira-t-elle assez pour pourvoir à tous les besoins de tout genre chez tous les hommes ? C’est le grand problème qui revient sans cesse.

Remarquons d’abord qu’aucun régime communiste ne peut réaliser une communauté absolue des biens et jouissances pour tous, puisque tous ne peuvent jouir à la fois des mêmes biens. Il faut toujours en revenir à un problème de répartition entre des individus divers. Or, cette répartition des biens communs et des objets consommables peut être égalitaire ou inégalitaire et proportionnelle. La première, au moment de la consommation, ne tient aucun compte des différences d’effort personnel et d’utilité sociale dans les produits. Ce genre de justice, à première vue, est l’injustice même. Le communisme égalitaire essaie pourtant de la faire admettre. Il déclare, non sans quelque raison, absolument impossible le calcul de justice distributive rêvé par certains socialistes. Si, pour reconnaître le droit de chacun, l’on sort de la règle de l’absolue égalité, dit M. Landry, on sort de toute règle, on entre dans l’arbitraire « sans plus rien qui nous puisse guider. » L’inégalité est, de