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où serait-elle sans eux ? Il y a quelque ingénuité à croire qu’on trouvera une formule de distribution en raison composée des capacités, des œuvres, des services rendus à la société, des services rendus par la société, enfin des circonstances extérieures.

Selon les partisans du droit proportionnel aux œuvres, l’Etat communiste devra déterminer, suivant la formule de Lassalle, « les objets matériels que les individus auront le droit de posséder, et ceux qui, sortant de la propriété privée, devront rentrer dans la propriété collective. » Il faudra ensuite que chacun reçoive les objets consommables à proportion de l’effort fait par lui pour contribuer à la richesse totale. Il faudra réaliser le programme de Rodbertus : 1° produire en vue des besoins sociaux et les satisfaire dans l’ordre de leur urgence ; 2° produire, avec la plus grande économie possible, des forces de production ; enfin, une fois tout monopole supprimé, y compris la rente du sol et l’intérêt des capitaux, il faudra régler et répartir le seul revenu individuel et légitime : le salaire, en vue de la consommation finale.

Il y a même un bénéfice réalisé par le fait de l’ordre social et qui, au point de vue d’une justice absolue, revient à la collectivité entière. Les socialistes veulent que le bénéfice collectif soit réparti entre les individus proportionnellement à la quantité et à la quotité de leur besogne évaluée par une entente au sujet de sa valeur sociale. C’est cette entente qui nous paraît difficile, pour ne pas dire impossible à établir, sans erreurs, sans injustices pour les individus ou pour les associations particulières. Dans la répartition future, les besognes seront évaluées « selon l’utilité sociale ; » fort bien, mais M. Andler ajoute ceci : « Comment décidera-t-on de ce qui correspond au besoin social ? N’y aura-t-il pas place ici pour de grands désaccords ? Des questions nouvelles surgiront ainsi des questions résolues. » A la bonne heure. Des questions nouvelles surgiront toujours, et jamais la justice complète ne régnera parmi les hommes. D’où il suit, selon nous, non pas qu’il est inutile de faire des réformes, mais au contraire qu’il en faut faire sans cesse. A une condition, pourtant, c’est de ne pas représenter ces réformes comme une panacée universelle, c’est de ne pas pousser le dogmatisme jusqu’à croire qu’on a trouvé le mode de possession et de répartition qui régnera dans la société à venir.