ramène toujours à une majorité. Si la moitié plus un d’une commune veut une arène pour les courses de taureaux au lieu d’un théâtre pour la tragédie classique, la moitié moins un subira les courses de taureaux et se passera de Racine et de Corneille. Allez à Roubaix dans le Nord, ou à Nîmes dans le Midi, et vous verrez les « collectivités » à l’œuvre. Le plus sûr ne serait-il point de ne pas tout abandonner aux majorités, c’est-à-dire aux foules ignorantes, aveugles, grossières ; d’assurer le rôle des élites, c’est-à-dire des individualités supérieures, en ne socialisant pas tous les instrumens de travail, tous les produits du travail, tous les travaux eux-mêmes, en laissant la liberté, avec ses avantages et même avec ses abus possibles, aux individus ou aux associations particulières d’individus ; en assurant ainsi, à côté de la propriété sociale, la propriété individuelle ou coopérative, à côté de l’autorité sociale, le contrôle individuel ou coopératif, à côté des besoins ressentis par tous (et qui ne sont pas toujours les besoins moralement supérieurs), les aspirations plus idéales de quelques-uns, portés en avant des autres et capables d’entraîner les autres à leur suite, pourvu qu’on les laisse agir ? En un mot, les moyens artificiels et comme mécaniques qui consistent à tout réglementer et organiser socialement, comme du dehors, valent-ils les moyens naturels et intérieurs, les forces intellectuelles et morales qui agissent dans les esprits mêmes et dans les cœurs ? Pour supprimer tout d’un coup certains abus, que l’on peut diminuer et corriger progressivement, le collectivisme tend à paralyser ce grand ressort du progrès, qui est l’individu en libre relation avec les autres individus libres, avec la société, avec le monde. Combien c’est rétrécir et la question sociale et la question morale, que de la ramener toute à l’expropriation des propriétaires privés du sol, dus usines ou des valeurs mobilières ! La justice n’est pas si facile à réaliser dans le monde, et ce n’est point l’exécution d’une formule aussi simple qui assurera le bonheur de tous.
Le système actuel assure, d’une manière générale et avec des oscillations inévitables, l’équilibre économique. C’est un point que M. Bourguin a excellemment mis en lumière[1]. Quand, par exemple, le plateau de la production pèse trop, celui de la consommation ne répondant pas à l’attente, la balance tend
- ↑ Les Systèmes socialistes.