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fille quelle lui paraissait devoir être sa vocation, pour ainsi dire, géographique : devenir un foyer de missions étrangères. En ce temps-là, des rêves dévots, — celui de l’extermination des Turcs d’Europe, idée fixe et ardente du P. Joseph ; celui de l’évangélisation des Indes orientales, menée triomphalement jusqu’aux portes de la Chine par saint François-Xavier et ses disciples, — se mêlaient aux curiosités de nos explorateurs et aux besoins coloniaux de nos commerçans, pour provoquer des expéditions maritimes lointaines. Encouragées par le cardinal de Richelieu et son mystique conseiller, des sociétés se formaient sur divers points de la France, demi-commerciales, demi-militaires, décorées de titres mystiques[1]. La Compagnie du Saint Sacrement, où, à cette époque, on le sait par d’Argenson, « le zèle des missions s’échauffait fort, » voyait évidemment, dans sa succursale méditerranéenne, l’organe désigné de cette expansion du catholicisme, le futur port d’attache de la Croisade mondiale.

Cette vue ne paraît pas s’être réalisée. Ni la relation de Voyer d’Argenson, ni les lettres, dont nous usons ici, ne nous montrent l’effort missionnaire de la Compagnie de Marseille rayonnant au-delà des côtes d’Alger ou de Tunis, ou de l’île de Malte. Et de cette limitation, il y eut plusieurs causes.

D’abord, peut-être, la concurrence que produisait cette généralisation, dont nous venons de parler, du zèle missionnaire. Si, dans les compagnons de « M. Vincent » et dans les ecclésiastiques de Saint-Lazare, la Compagnie du Saint Sacrement de Marseille n’avait que des amis, — tour à tour ses conseillers, ses collaborateurs et ses protégés, — peut-être se fût-elle heurtée moins fraternellement aux efforts simultanés de deux Méridionaux, — à la Société de missionnaires de Mgr d’Authier de Sisgau, ou à la Compagnie de colonisation catholique organisée par M. de Ventadour, — deux sociétés que saint Vincent de Paul trouva, à plusieurs reprises, sous ses pas, non sans déplaisir.

Toutefois, ce qui détourna le plus le groupe marseillais de

  1. Tel l’ordre de la Milice chrétienne, fondé, dès 1617, par le duc de Nevers, Charles de Gonzague, et celui de la Sainte Trinité, projeté en 1626 par Richelieu lui-même ; telles les Compagnies du Morbihan, et, surtout, celle de la Nacelle de Saint Pierre fleurdelysée, demi-hollandaise, demi-bretonne, fondée aussi en 1626 et qui fit avec le cardinal de Bérulle un traité secret, lui conférant la direction spirituelle de l’entreprise. Toutes ces curieuses tentatives sont exhumées par M. de La Roncière dans sa magistrale histoire de la Marine française. Voyez aussi le Père Joseph de M. G. Fagniez.