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de reconnaissance envers Dieu et des raisons de lever les yeux en haut, où il a retrouvé ma sœur et tous ceux qu’il avait perdus.

Je n’ai pas besoin de vous dire quel vide il laisse dans ma vie. Heureusement j’ai beaucoup à faire, et la tâche est trop grande pour perdre courage.

Voulez-vous bien me rappeler au bon souvenir de Mme de Lavergne dont la santé est meilleure, j’espère, et croire à tous mes sentimens les plus distingués.

GUIZOT DE WITT.


Lavergne ne devait survivre que peu d’années, — il est mort en 1880, — à celui qui avait été son ami, son correspondant assidu, son guide autorisé dans la vie politique.

Ce n’est pas le lieu de juger l’œuvre de Guizot ; on peut même se demander si le moment est venu de porter sur elle un jugement définitif.

Mais l’homme, tel qu’il se révèle à nous par sa longue correspondance, a droit à toute notre admiration. Il est peu d’exemples, dans l’histoire, d’hommes d’État tombés du pouvoir, et supportant avec une telle constance les disgrâces de la fortune.

Pendant vingt-six ans, de 1848 à 1874, éloigné de la politique, qui avait été la passion de toute sa vie, il n’a pas fait entendre une plainte. Le seul regret qu’il ait exprimé est un regret patriotique. Dans une lettre de novembre 1870, après avoir déploré les malheurs de l’invasion, il s’écrie, et c’était bien son droit : « Quelle chute depuis 1848 ! »

Réfugié dans le travail littéraire, cette consolation des grands esprits, il y trouve la paix et le contentement du cœur. Sa grande âme, planant au-dessus des contingences de ce monde, s’absorbe tout entière dans ces deux sentimens, les plus beaux, les plus nobles que l’homme puisse éprouver, Dieu et la Patrie !


ERNEST CARTIER.