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y domine. Il a dominé dans votre assemblée, quoique très insuffisant pour l’avenir. La France marche comme le genre humain, tantôt par des bonds fous, tantôt à si petits pas qu’on a peine à voir si elle avance.

Voici la dernière lettre de Guizot qui ne précédait sa mort que de quelques semaines. Elle est écrite par sa fille et la signature seule de la main de Guizot, loin d’offrir la fermeté habituelle de son écriture, est tremblée, indice trop certain de la diminution de ses forces :


Val-Richer, 1er août 1874.

Mon cher confrère,

Votre lettre du 24 juillet m’a fait grand plaisir ; il y avait longtemps que je n’avais reçu de vos nouvelles ni pu vous donner des miennes. Je regrette bien celles que vous me donnez de Mme de Lavergne. J’espère que vos inquiétudes sont excessives et que vous serez bientôt rassuré. J’ai regretté votre moment de dissidence avec mes amis. J’ai la confiance qu’elle ne se prolongera pas ; vous avez au fond les mêmes intentions et vous êtes dévoués, je devrais dire voués à la même cause. Je me permets de vous engager à y persister, c’est la seule bonne et la seule qui ait de vraies chances de succès. Elle me paraît aujourd’hui en bonne voie, j’espère qu’elle s’y maintiendra.

Adieu, mon cher confrère, croyez-moi bien affectueusement

Tout à vous.


M. Guizot s’éteignit au Val-Richer le 12 septembre 1874. Sa fille, Mme de Witt a raconté en termes éloquens cette fin si pleine de sérénité, de tendres ; regrets pour les siens, de noble attachement pour son pays, de sublimes espérances en l’au-delà.

Peu de temps après la mort de son père, elle écrivait à Lavergne, en réponse à ses affectueuses condoléances, une lettre qui m’a paru devoir prendre place à la suite de la correspondance de l’illustre disparu. Elle en est digne par l’élévation des sentimens et la courageuse résignation dont elle est empreinte.


Val-Richer, 30 septembre 1874.

Je savais, monsieur, que vous sentiriez personnellement notre chagrin, et vous aviez raison, car mon père avait pour vous beaucoup d’estime et d’amitié. Il est mort lui-même paisible, serein, et fort, plein de confiance en Dieu, occupé du pays ; il m’a appelée, reconnue jusqu’au bout. Il n’a pas souffert. Voilà bien des sujets