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entreprises latérales. Quelles ambitions germaient parmi les confrères quand ils sortaient, la tête et le cœur enflammés d’une belle ardeur propagandiste, de ces conciliabules pieux dont Voyer d’Argenson nous a laissé une image trop éteinte, — quelles témérités leur inspirait l’audace de leur Société, — c’est ce que va nous montrer l’aventure singulière de l’abbé Colas de Portmorand.


IV. — LA « FAMILLE CHRÉTIENNE » DE L’ABBÉ DE PORTMORAND

Né en 1607 dans le diocèse d’Orléans[1], où la Compagnie du Saint Sacrement s’établit en 1632, Colas de Portmorand avait pu connaître à Orléans l’abbé Bourdoise qui y vint travailler en 1617 ; il s’était épris un moment de Saint-Cyran, et il avait fini par s’attacher à « M. Vincent » qui l’enrôla parmi ses premiers missionnaires. Devenu, en 1638, curé de Calais, où la Compagnie eut aussi, sinon une succursale, au moins des représentans, il y avait fait beaucoup de bien. Figurons-nous en lui un de ces jeunes prêtres, comme il y en eut tant alors, qui, à l’exemple des grands initiateurs que je viens de nommer, essayaient çà et là, en France, de procurer enfin la réformation attendue ; apôtres dispersés auxquels il manquait un centre, et qui, précisément, le trouvèrent, à partir de 1630, dans la Compagnie du Saint Sacrement. Chez Portmorand, cette ferveur active prenait sans doute, comme il arriva plus d’une fois en ce temps, la forme d’un mysticisme exalté. Il raconte lui-même, dans le petit livre dont nous allons parler, qu’une terrible maladie cérébrale le mit à deux doigts de la mort. Ce fut dans cette maladie qu’ « une grande lumière, l’environnant, » lui découvrit « les dérèglemens de l’Eglise universelle depuis les plus grands jusqu’aux plus petits, » et ce qu’il fallait pour « rétablir l’esprit de religion dans les familles séculières desquelles il est entièrement banni. » Guéri, avec une soudaineté miraculeuse, par l’intercession de saint Joseph, « à la condition qu’il s’emploierait avec fidélité à cette œuvre, » Portmorand vint s’enfermer, probablement au milieu de l’année 1641, dans le village de Vaugirard, « pour digérer, seul, — dit-il, — au pied du crucifix » les ordres du Ciel. Notons cependant qu’il était encouragé par une de ces

  1. Voyez Ed. Colas de la Noue, Un précurseur de l’Enseignement : l’abbé de Portmorand, Angers et Orléans, 1891.