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frayeurs que causait à la Compagnie de Paris son succès même et sa magnifique extension, nous le vérifions de bonne heure dans ses lettres. Ce n’est pas seulement vers la fin, quand des ennemis la menacent, qu’elle songe à restreindre ses conquêtes : c’est dès la fin de 1648 : « Messieurs, nous vous supplions d’être désormais fort réservés à procurer de nouveaux établissemens de N [ouvelles] C [ompagnies] et principalement dans les petites villes… parce qu’il serait à craindre qu’enfin la multiplication ne nous fût ruineuse et préjudiciable par la découverte et la division d’esprit qu’elle pourrait causer. »

Lorsque, enfin, les « dangers » se multiplient et se précisent, voilà bien, dans les lettres de Paris à Marseille, le redoublement d’alarmes et de précautions dont la relation de Voyer d’Argenson nous faisait le tableau. Et ce fait, désormais incontestable, appelle une observation. Quand elle est ainsi menacée d’être « découverte, » vers 1660, la Compagnie du Saint Sacrement n’avait-elle pas derrière elle assez de belles œuvres déjà faites, par devers elle assez de beaux projets en train pour ne rien craindre, ce semble, ou même pour pouvoir légitimement espérer que les pouvoirs ecclésiastiques et civils, édifiés d’un si honorable dossier, lui permettraient de garder, au moins vis-à-vis du public, un secret dont elle avait tiré si bon parti ? Ne pouvait-elle pas, ou bien se divulguer alors ; — l’état des esprits n’était plus, en 1660-1666 (Anne d’Autriche vivait encore), le même qu’en 1630, ni à la cour, ni dans le public ; — ou bien faire la part des exigences du gouvernement, et consentir à se révéler aux autorités ? Or l’idée ne lui en vient point. Elle sait pourtant, et elle le dit, que le « danger » qui la menace n’est pas un « danger » matériel. « Les particuliers » qui la composent « n’ont rien du tout à redouter de fâcheux. » C’est la Compagnie qui doit craindre, et le malheur qui l’épouvante, ce n’est pas d’être blâmée, c’est, purement et simplement, d’être « découverte. »

Elle s’obstine dans sa dissimulation et s’y enfonce. « Soyez encore, s’il se peut, plus secrets que par le passé. » De lettres, le moins possible, et rien que « pour les choses absolument nécessaires. » Plus même de cet échange des nouvelles mortuaires auquel la piété de la Compagnie attribuait avec raison tant d’efficacité pour l’union. Assemblées espacées, « de quinze en quinze jours, ou de mois en mois ; même, cessation entière, » pour ne laisser « subsister que les entrevues secrètes des officiers qui