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feront leur effet sur le public, et surtout sur le public de famille, que vous n’êtes pas complètement content de ces pauvres Harmonies. Je suis comme vous et plus que vous ; je sens qu’on doit leur reprocher avec raison monotonie, sécheresse, pompe, pathos, etc. J’ai trop pris le ton convenu du cantique ancien et pas assez le ton vrai de saint Augustin et de Sainte-Beuve. Je préfère les Consolations en toute vérité ; je n’en suis que plus touché de votre indulgente préface pour les lecteurs de la Quotidienne, et comme je sais de plus que vous n’aimez pas à voir votre nom dans un journal représentant des idées fort différentes des vôtres, je compte cet article pour un vrai dévouement d’amitié. Puissé-je vous le rendre !

Je pars à l’instant, dans quelques heures, pour le pays de la poésie, les montagnes, la Savoie, la Suisse, Chamonix, le Saint-Bernard, la vallée d’Aoste et les lacs italiens. Le tout en quinze jours ou trois semaines. Une bonne aventure serait de vous y rencontrer. Je reviendrai, s’il se peut, par Saint-Claude.

Que faites-vous ? Et comment attendez-vous l’inévitable crise qui se prépare ? Le succès d’Alger la rendra plus courte et plus facile. Mais réussit-on longtemps à battre son siècle ? C’est ce que l’histoire des siècles ne prouve pas. Je regarde la bataille comme gagnée, si on la donne ; mais que faire de la victoire ? Il y a un gros nuage à voir passer. Dieu veuille qu’il n’en sorte que du bruit et des éclairs ! Je prends plus d’intérêt que vous à la politique parce que j’en ai moins vu. Le découragement où je vous ai vu ne m’atteint pas encore. Je voudrais voir l’humanité sur un bon chemin, quoique tout chemin la conduise à la mort.

Je sens la poésie remonter en moi à flots plus purs et plus forts. Je vais, si quelque dieu nous fait du loisir, m’y livrer pendant les dernières années que la jeunesse colore encore, mais je n’en publierai plus avant dix ou quinze ans. Les Méditations et Harmonies seront mes Bucoliques ; il faut penser à la Divina Comedia qui fermente depuis si longtemps en moi.

Et vous, faites aussi ! Jamais vous n’avez été, de l’aveu de tous, plus en verve de pensée et de style que depuis un an. Écrivez une œuvre ou des fragmens, car tout est fragment, même le tout. Peu importe. Marquez votre trace et qu’il ne soit pas dit que nous avons eu un des grands écrivains et penseurs du XIXe siècle, qui s’est amusé à regarder et à applaudir des acteurs moins bons que lui !

Adieu et amitiés.


Nodier, dans cet article, paru le 10 juillet, louait le poète pour son élégance soutenue et son abondance mélodieuse ; mais il lui reprochait une sorte de pompe et l’emploi de termes convenus et impropres : Philomèle pour rossignol, et urne pour vase. « Ah ! j’ai souvent entendu chanter dans les bois de Milly cet oiseau des heures du sommeil qui vous a inspiré des concerts plus doux que les siens ; mais il ne s’appelait pas Philomèle, il s’appelait le rossignol… Quant à l’urne, je la condamne impitoyablement : une autre fois, je vous en supplie, dites vase, dites