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sous la garde de M. de Capmas : il leur écrira de chaque étape. Ce sont ces lettres qu’on va lire. Elles nous permettent de suivre jour par jour le voyageur ; elles nous initient à ses projets et à ses changemens d’itinéraire ; elles donnent sur tous ces points des renseignemens d’une précision indiscutable et que rien ne peut remplacer, l’un des carnets de voyage du poète ayant disparu. Aussi n’est-ce pas sans quelque surprise qu’on lit, dans les Lettres à Lamartine publiées en 1892 par Mme Valentine de Lamartine, cette note : « Les lettres importantes et nombreuses, écrites pendant son voyage en Orient, publiées dans la Correspondance, complètent le livre où il a donné ses impressions et ses souvenirs. » D’où vient que Mme Valentine n’ait publié, dans la Correspondance, aucune des « lettres nombreuses et importantes » que Lamartine adressait à sa femme ? Craignait-elle qu’elles ne fussent par endroits en désaccord avec les « souvenirs » du livre ? Ou bien fut-ce pour quelque autre raison ? — Quoi qu’il en soit, on jugera aisément de l’intérêt qu’elles présentent.


Nazareth, samedi 7 octobre 1832.

En attendant de vos nouvelles, ma chère Marianne, voici une seconde fois des nôtres. Nous sommes arrivés hier soir sans peine, sans accidens et presque sans fatigue au couvent de Nazareth d’où je vous écris. Nous y restons aujourd’hui à parcourir pieusement les lieux saints et ce séjour consacré par un si prodigieux mystère. Nous avons visité ce matin les lieux mêmes où habitait la famille du Christ et où lui-même habita jusqu’à treize ans. Demain nous allons déjeuner au Mont Thabor et coucher au lac de Tibériade. Lundi soir nous revenons coucher à Nazareth. Mardi nous repartons pour Jérusalem soit par la route de Samarie et Naplouse qui est un peu plus courte et très sûre maintenant, soit par le Mont Carmel et Jaffa ; nous ne le décidons que demain. M. Cattafago nous donne son frère, très connu dans le pays, pour nous accompagner par Naplouse, ou, si nous allons par Jaffa, il nous accompagne lui-même jusqu’au Mont Carmel. Ces messieurs désirent Naplouse, et moi, je ne m’en soucie pas, parce que la route est moins bonne ; mais je pense que je leur céderai.

Il n’y a plus de peste à Jérusalem ; nous avons eu deux journées les plus intéressantes du monde depuis Saïde jusqu’ici et rien dans tout notre voyage ne peut s’y comparer. La Judée surtout, où nous sommes entrés depuis Acre, est au-dessus de toute description par l’originalité, la solennité et le gracieux des sites. A chaque pas maintenant nous pouvons ajouter par le prestige et la sainteté des noms et des souvenirs. Notre caravane se comporte à merveille. Nous couchons sous la tente et nous vivons assez passablement quand nous trouvons des sources, seule chose rare. Je ne regrette cependant pas que Julia et toi ne soyez pas encore de cette partie. Je vous