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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/924

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A la fin, défaillans, talonnant de la main,
Comme si l’ombre était en dehors de nous-mêmes,
Fermant nos yeux ternis où les choses sont blêmes,
Nous couchons pour jamais notre pauvre être éteint !

Mais alors, ô compagne, ô toi que rien n’outrage,
O Muse, qui devins si belle auprès de nous,
Tendant tes jeunes bras et pliant tes genoux,
Tu prends, entre tes doigts divins, notre visage,

Et l’attirant à toi, si pâle et déformé,
Tu lui mets le baiser de ta lèvre sublime,
Et l’immortalité de ce baiser ranime
La clarté d’autrefois, le rayon consumé ;

Ce front mort est paré d’éternelle jeunesse
Quand il est sur le sol reposé par tes mains,
Et les traits glorieux des grands bustes humains
Sont ceux que tu touchas d’une telle caresse.


LE VOYAGEUR


Sois comme un voyageur las d’une longue route,
Quand il arrive au bord de la mer qu’il écoute
Depuis longtemps gémir d’un soupir grandissant.
Ses reins sont douloureux, et ses pieds sont en sang
Sos genoux sont roidis par l’effort de la marche ;
Courbé comme celui qui passe sous une arche,
Les yeux ternis du long défilé du chemin,
Il se meut avec peine, à pas traînans ; sa main
Trouve lourd le bâton sur lequel il s’appuie ;
Son visage est couvert de sueur qu’il essuie
En abaissant son front jusqu’à son bras plié.
Le départ du matin allègre est oublié,
Et le salut aux bois scintillans de rosée ;
Dans la sombre lueur, déjà verte et bronzée,
Où les chênes confus mêlent leurs rameaux noirs,
L’homme sent en son cœur la vanité des soirs.