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— que justement la littérature et la musique se partagent encore cette définition. Soit. Alors nous choisirons un autre exemple, et ce sera le suivant. Parlant d’un morceau du Requiem, l’auteur nous explique pourquoi la logique ou le développement y a moins de part que la variété et la fantaisie : « Cet imprévu est naturel au musicien romantique : Berlioz s’occupe moins de suivre la logique musicale, que de dramatiser et d’illustrer les paroles d’un texte grâce à des effets sonores. L’enchaînement, la suite, la logique d’un texte littéraire sont d’un autre ordre, d’une autre nature que l’enchaînement, la suite, la logique delà musique ; l’ordre musical, Berlioz le règle volontiers sur l’ordre littéraire. D’où l’imprévu de ses épisodes. Musicalement, ils sont étrangers, puisqu’ils ne sont pas d’une genèse musicale ; mais, issus du texte, le génie littéraire, dramatique et pittoresque de Berlioz les accueille avec joie. »

Pour le coup, il s’agit bien ici de musique, d’un élément de la musique de Berlioz, et, le trouvant uni comme toujours à l’élément littéraire, c’est en musicien, parlant pour des musiciens, que le critique, avec beaucoup de finesse, a su l’en distinguer.

En musicien aussi, M. Boschot analyse la musique, et rien qu’elle, du scherzo de la reine Mab, dans Roméo et Juliette. Il signale, fort judicieusement, la disposition, le partage, presque classique et beethovenien, du morceau. Très juste encore, à propos de cette page et toujours dans l’ordre de la musique pure, la mention du contraste ou plutôt de la conciliation entre la ténuité presque imperceptible des sons et le nombre considérable, — plus que l’orchestre de Beethoven et de Weber, — des élémens ou des forces sonores.

Que si quelqu’un s’étonne et peut-être regrette que dans Roméo, dans cette œuvre où des chœurs et des solistes chantent, les personnages principaux soient les seuls à ne point chanter, M. Boschot répond, en les faisant siennes, par les raisons que Berlioz a lui-même et le premier, données : « Si, dans les scènes célèbres du jardin et du cimetière, le dialogue des deux amans, les apartés de Juliette et les élans passionnés de Roméo ne sont pas chantés, si enfin les duos d’amour et de désespoir sont confiés à l’orchestre, les raisons en sont nombreuses et faciles à saisir… Les duos de cette nature ayant été traités mille fois vocalement et par les plus grands maîtres, il était prudent autant que curieux de tenter un autre mode d’expression. La sublimité même de cet amour en rendait la peinture si dangereuse pour le musicien, qu’il a dû donner à sa fantaisie une latitude que le sens positif des paroles chantées ne lui eût pas laissée, et recourir à la langue