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Depuis quelque temps déjà les ouvriers de Draveil, dans le département de Seine-et-Oise, avaient interrompu leur travail : Villeneuve-Saint-Georges, commune voisine, n’a pas tardé à être comprise dans le mouvement. Pendant quelques semaines, il n’y a pas eu de désordres graves : c’est ainsi d’ailleurs que les grèves ont l’habitude de commencer ; mais elles finissent autrement. Un jour est venu où, un conflit s’étant produit entre les grévistes et les gendarmes, un ouvrier a été tué. Voici les faits brièvement rappelés. Les gendarmes avaient été, un matin, l’objet de provocations intolérables. Dans l’après-midi, un brigadier crut reconnaître le principal provocateur et se mit à sa poursuite. Des coups de revolver fuient échangés, et une balle mortelle atteignit un malheureux, nommé Geobelina. D’où venait cette balle, on ne l’a jamais su. L’autopsie du cadavre aurait probablement fait la lumière sur ce point : la balle même aurait été retrouvée et on aurait pu constater si elle était sortie d’un revolver de gendarme ou d’un revolver d’ouvrier. Le brigadier a été poursuivi : son défenseur a demandé avec insistance une autopsie qu’on fait toujours en pareil cas, mais qui, cette fois, a été refusée : on craignait de déplaire aux ouvriers qui s’y opposaient. Il y a eu mieux, ou plutôt il y a eu pis. Le brigadier a été en même temps l’objet de poursuites disciplinaires et de poursuites judiciaires. La question posée était de savoir si l’ouvrier qu’il avait poursuivi l’après-midi, par suite de provocations commises le matin, était encore à ce moment en état de flagrant délit, et par conséquent s’il pouvait être appréhendé sans autre formalité. C’est une question strictement juridique ; la jurisprudence parait l’avoir résolue dans un sens favorable au brigadier ; en tout cas, c’est dans ce sens qu’a conclu le conseil d’enquête. Le brigadier devait donc être remis en liberté. Il ne l’a pas été : le gouvernement a jugé à propos d’attendre, pour prendre un parti, que les tribunaux de droit commun se fussent prononcés. Il aurait fallu choisir entre les deux juridictions, au lieu de les mettre successivement en œuvre. La conscience publique a été blessée lorsqu’on a vu que le brigadier, déclaré indemne par le conseil d’enquête, était maintenu en état d’arrestation. Le gouvernement, désireux de ménager les susceptibilités des ouvriers, voulait sans doute leur donner le temps de se calmer ; mais on n’a pas tardé de voir une fois de plus que les ménagemens de ce genre produisent un effet contraire à celui qu’ils se proposent. Les ouvriers se sont sentis encouragés dans leur altitude menaçante, et la Confédération générale du Travail s’est mise en mouvement.

Nous n’avons pas à dire ce qu’est la Confédération générale du