l’extrême obligeance de Mme la baronne Bartholdi, née de Lessert, à Paris, nous pouvons aujourd’hui les donner au public, si friand de tout ce qui concerne Jean-Jacques Rousseau.
Elles datent des douze dernières années de la vie du grand écrivain. Les premières de la série, écrites de Wootton, de Bourgoin et de Monquin, nous reportent au temps où Rousseau était en proie à un véritable délire et voyait partout des persécuteurs. Il est fort intéressant de constater que, même dans les phases les plus aiguës de ce mal, il ne s’est jamais défié de ses amies de Lyon ; la relation qui l’unit à Mme Boy de la Tour et à sa fille demeure parfaitement cordiale ; Rousseau conserve jusqu’au bout avec elles le ton d’une confiance absolue et même d’un affectueux enjouement.
Il convient de noter aussi que les lettres datées de Paris (1770-1776) appartiennent à une époque de sa vie où Rousseau devenait fort paresseux à écrire, de sorte que, pour cette dernière période, ses lettres sont assez peu nombreuses. Celles qu’il adressait à Mme de Lessert offrent donc un intérêt particulier. Elles contiennent d’ailleurs une foule de détails précieux sur la vie intime de Jean-Jacques.
PHILIPPE GODET.
A Wootton en Derbyshire, le 9 avril 1766[1].
Je soupirais, chère amie, après un repos dont j’avais grand besoin, et mon premier soin en arrivant dans cet asile est d’y donner de mes nouvelles à mes amis, parmi lesquels vous aurez toujours, ainsi que l’aimable Madelon, la place que vous avez si bien méritée et que mon cœur vous donne si volontiers. Le lieu que j’habite est agréable et solitaire, j’espère y pouvoir couler paisiblement le reste de mes malheureux jours ; mais il est à trois cents lieues de vous : c’est un des plus grands défauts que j’y trouve. De toutes mes infortunes, celle que je sens le plus cruellement est d’être privé des consolations de l’amitié au moment qu’elles me sont le plus nécessaires. J’en puis ajouter une autre encore plus funeste par ses conséquences, c’est d’avoir trouvé dans de prétendus nouveaux amis empressés à me servir des traîtres liés en secret avec mes ennemis les plus acharnés, et qui, sous le masque d’une amitié perfide, travaillent sans relâche à me perdre et me déshonorer. Grâce au ciel ils sont découverts ; ils me nuisent sans me tromper, et j’espère que les
- ↑ On sait que Hume avait emmené Rousseau en Angleterre. Il y arriva en janvier 1766. Établi à Wootton dès la fin de mars, il ne tarda pas à se défier de Hume et à l’accuser de le trahir, ainsi qu’il l’expose à la comtesse de Boufflers, dans une lettre datée précisément, comme celle-ci, du 9 avril.