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fait en son nom et que, désabusé aujourd’hui, il déplore ; en tout cas il doit rester intangible ; il est le padischah, le khalife, symbole vivant de l’unité nationale : telle est la fiction qu’admet et qu’impose le Comité. Au milieu de l’effondrement de son système et de la dispersion de ses fidèles, Abd-ul-Hamid, jusqu’ici, est resté debout. Avec une merveilleuse présence d’esprit, il a fait à mauvaise fortune bon visage, il a su se plier aux circonstances ; sa décision une fois prise, il a joué son rôle en maître, se montrant en public, parlant au peuple, plus réformateur que les réformateurs eux-mêmes, arborant au Selamlik la cocarde constitutionnelle, offrant un palais au Comité Union et Progrès, abandonnant sans vergogne ses amis et tendant les bras à ses victimes. S’il n’avait pas mis plus tôt la Constitution en vigueur, c’est que les circonstances l’en avaient empêché et que son peuple n’était pas assez instruit pour être libre ; mais maintenant la situation a changé, et depuis que des traîtres ne l’empêchent plus de la voir telle qu’elle est, il comprend que le temps est venu d’établir le régime constitutionnel ; il remercie les sujets fidèles qui l’ont éclairé, il leur demande de lui continuer leurs bons conseils ; il n’a jamais voulu que le bien et le bonheur de son peuple en qui il a confiance et dont les acclamations loyales touchent et réjouissent son cœur paternel. Qualis artifex ! En vérité, Abd-ul-Hamid est un grand artiste, ou plutôt un grand politique !

Comment n’apprécierait-il pas certains résultats du nouveau régime ? Il se trouvait en face de grosses difficultés ; il allait être mis dans la nécessité de répondre aux propositions anglo-russes, d’accorder de nouvelles réformes en Macédoine qui, en dépit des euphémismes diplomatiques, auraient limité et contrôlé son pouvoir souverain, et voici que subitement, par la vertu de la liberté retrouvée, la tragédie macédonienne tourne à la pastorale. On s’embrasse ! Loups et renards sont entrés dans la bergerie ; ils fraternisent, pêle-mêle, avec les moutons. Les bandes de toutes les nationalités déposent les armes, descendent dans la plaine, accourent dans les villes et sur les marchés. Sandanski a fait son entrée à Salonique, au milieu des acclamations, avec Panitza, l’assassin de Boris Sarafof ; il prépare sa candidature aux élections. Les Bulgares de Macédoine, émigrés dans la Principauté, reviennent en masse. Les prisons se sont ouvertes ; des centaines d’hommes, l’élite des nationalités concurrentes, en