Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

excepté s’asseoir dessus. » Un iradé suffit à remettre en vigueur la Constitution oubliée, mais non abolie, de 1876 ; des élections furent annoncées, un ministère responsable constitué ; du jour au lendemain l’Empire ottoman devint un État constitutionnel.

Mais le fait dominant, dans ce bouleversement, c’est moins l’organisation sur le papier d’un régime libéral que la prise de possession effective du pouvoir et l’exercice réel du gouvernement par le Comité Union et Progrès[1]. Ce sont les délégués du Comité, composé surtout d’officiers, et dont les inspirateurs les plus influons paraissent être les majors Niazi-bey et Enver-bey qui, sans remplacer les organes réguliers du gouvernement, en réalité les dirigent ; ce sont eux qui dictent au Sultan leurs volontés, font et défont les ministères, imposent la révocation des fonctionnaires et la nomination d’hommes dévoués aux idées des Jeunes Turcs. Il y a là un phénomène comparable au pouvoir du Comité de Salut public pendant la Convention. C’est sur les injonctions impératives des délégués du Comité que s’opère rapidement l’œuvre préliminaire d’épuration et de nettoyage ; toute la camarilla délatrice et concussionnaire a été balayée en quelques jours ; les principaux personnages de l’entourage de confiance du Sultan, Izzet-pacha, les Melhamé, les derviches et les astrologues se sont enfuis ou ont été arrêtés ; les ministres accusés de prévarication sont en prison en attendant le jugement qui leur fera rendre gorge ; tout l’ancien personnel compromis est liquidé, dispersé, remplacé, tandis que les fonctionnaires patriotes, même les plus dévoués au Sultan, se rallient avec joie au mouvement « jeune turc, » s’entendent avec le Comité et applaudissent à la constitution retrouvée. Les hommes les plus sages, les plus avisés, comme l’Inspecteur général des trois vilayets de Roumélie, Hilmi pacha, ne cachent pas leur satisfaction et remercient le Sultan d’avoir répondu aux vœux de ses sujets fidèles.

C’est un des traits les plus curieux de la méthode prudente du Comité Union et Progrès et de l’esprit politique de ses inspirateurs que la manière dont la personne du Sultan est tenue en dehors des discussions et au-dessus des responsabilités. Le Sultan a été mal conseillé, il a été trompé par des traîtres qu’il faut châtier ; lui-même n’est pas responsable du mal qui a été

  1. Le Comité a son principal centre à Salonique. Paris est le principal centre extérieur. Le Comité n’a ni chef, ni président, tous les membres sont égaux.