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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/135

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celles qui, dans l’Europe occidentale, en 1830 et en 1848 par exemple, ont abouti à la conquête de la liberté politique et du régime constitutionnel. Autant qu’il est libéral et anti-absolutiste, le mouvement actuel est patriote et nationaliste ; il serait même plus juste de dire qu’il est libéral et constitutionnel, surtout parce qu’il estnationaliste.il n’est pas dirigé par des professeurs ou des journalistes, par des « intellectuels : » c’est un mouvement militaire ; le Comité Union et Progrès est composé d’officiers, et c’est sous la forme d’une mutinerie militaire que la révolution a commencé à Salonique et à Monastir ; le pouvoir effectif, en ce moment, en Turquie, appartient à l’armée ; les délégués du Comité, les Niazi-bey, les Enver-bey, qui dictent leurs volontés au Sultan, nomment et révoquent les ministres, les généraux, les ambassadeurs, les valis, sont tous des officiers, des médecins de l’armée : c’est une franc-maçonnerie militaire qui, avec l’approbation du pays et l’aide de comités siégeant à l’étranger, s’est emparée du pouvoir et gouverne par ses délégués. Voilà un premier trait qui caractérise les événemens actuels.

Le mouvement a éclaté dans l’armée, dans le IIIe corps, celui de Macédoine, parce que c’est dans l’armée, et spécialement dans le IIIe corps, que le mécontentement était le plus vif. Comment une armée en général si disciplinée et si loyaliste en est-elle venue à la révolte ouverte ? On a dit qu’elle était mal payée, que la solde des hommes et des officiers était en retard ; or, les troupes de Macédoine, grâce à la bonne gestion de la Commission financière européenne et de l’Inspecteur général Hilmi-Pacha, étaient, depuis quelques mois, les plus régulièrement payées ; on était presque arrivé à un régime normal ; à peine un mois de solde restait arriéré au moment où éclata le mouvement insurrectionnel auquel il faut chercher des causes plus élevées. Depuis six ans, l’armée turque d’Europe était aux prises avec les difficultés et les périls sans cesse renaissans de la question macédonienne, poursuivant les bandes, gardant les voies ferrées, surveillant les frontières sans faire avancer d’un pas la pacification du pays. Elle s’apercevait que l’état de trouble où se débattait la Macédoine n’était que l’une des manifestations d’un mal plus général, et que l’anarchie d’en bas résultait de l’absolutisme tyrannique d’en haut. Pour prix de ses peines et de ses périls, elle était soumise à un régime dégradant