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si les réformes entreprises par les Ottomans eux-mêmes venaient à échouer ou paraissaient insuffisantes. Rien de plus sage que cette expectative sympathique. La Russie est bien désabusée aujourd’hui de la politique balkanique ; il y a tout lieu de croire qu’elle ne cherchera pas à brouiller les cartes.

Quant à l’Angleterre et à l’Allemagne, si elles avaient fait les calculs qu’on leur a prêtés, il se pourrait qu’elles en fussent, en définitive, les mauvaises marchandes. Loin que la crise actuelle aboutisse à une dislocation ou à un affaiblissement de l’Empire ottoman, les réformateurs ont, au contraire, l’ambition de le galvaniser et de le soustraire aux influences trop envahissantes des puissances étrangères, quelles qu’elles soient ; et déjà l’on annonce que le nouveau gouvernement demanderait une révision des contrats relatifs au chemin de fer de Bagdad. En Allemagne cependant, ni la presse, ni l’opinion ne semblent s’émouvoir ; peut-être espère-t-on que le Sultan restera, à la fin, « le maître de l’heure ; » peut-être sait-on, à Berlin, ses secrets desseins depuis que le baron Marschall est venu conférer avec l’Empereur et avec le prince de Bülow ? En Angleterre, la presse et l’opinion restent favorables au mouvement du Comité Union et Progrès ; elles voient avec plaisir l’arrivée au pouvoir d’un parti qui se réclame des idées libérales anglaises et françaises et surtout l’effondrement d’un gouvernement auquel l’Allemagne semblait avoir lié ses intérêts et qui avait pour elle des complaisances particulières. Mais, s’il y a une Jeune Turquie, il y a aussi une Jeune Egypte ; il y a un khédive, vassal du Sultan, que son peuple sollicite de donner, lui aussi, une Constitution, de régénérer l’Egypte, de la libérer de l’étranger. Voilà, pour l’Angleterre, une préoccupation.

Il y en a d’autres pour toutes les puissances. Les sympathies de l’Europe pour le mouvement « jeune turc » sont réelles, mais elles sont conditionnelles. Et déjà le programme du cabinet présidé par Kiamil-pacha a causé quelque surprise : il annonce qu’il « s’efforcera de supprimer, avec le consentement des États intéressés, les formes exceptionnelles dont les sujets de quelques États jouissent en Turquie en dehors des règles générales du droit international, en vertu de certains anciens traités et de quelques usages et vieilles coutumes. On s’efforcera de créer une situation générale, pouvant inspirer confiance à tous et faire comprendre même aux étrangers l’inutilité de leurs privilèges. »