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Il s’agit de la suppression des Capitulations. Le même programme parle de « la révision des traités de commerce. » Et voilà, du coup, tous les intérêts alarmés. Le ministère, pour son début, a commis une erreur de tactique qui révèle bien l’esprit « nationaliste » et les méthodes doctrinaires du Comité Union et Progrès. Dans quelques années, quand le nouveau régime se sera installé, quand le gouvernement issu de la révolution se sera affermi et aura fait ses preuves, quand les tribunaux seront imbus d’un esprit nouveau, il sera temps, peut-être, de parler de l’abandon des Capitulations ; jusque-là, il faut attendre. « La Turquie est maintenant à un niveau moral tel qu’il faudra tenir compte de ses susceptibilités, » disait récemment l’un des inspirateurs du mouvement, en faisant allusion au retrait, qu’il souhaite spontané, des officiers chargés de la réorganisation de la gendarmerie en Macédoine : la phrase est caractéristique. Il est certain que la Turquie fait un admirable effort, auquel toutes les puissances civilisées applaudissent, pour s’élever « à un niveau moral » supérieur ; mais il est non moins certain qu’il ne faut pas se hâter de proclamer qu’elle y a réussi ; elle y travaille. En politique, il s’agit d’intérêts, et les étrangers n’ont pas à juger des cœurs, mais des actes. Ils ne se refuseront à rien de ce qui sera juste quand l’heure en sera venue, mais il faut attendre que les mœurs de la liberté aient poussé des racines profondes dans le pays.

Les Jeunes Turcs permettront à notre sympathie de leur dire ces vérités et de leur signaler ces périls. Dans l’Empire ottoman, ce sont les capitaux européens, français, allemands et anglais en particulier, qui ont tout fait ; le pays ne peut pas vivre sans eux ; l’argent européen, les cerveaux européens sont mêlés à toute l’activité, à toute la vie turques. Les réformateurs ont l’intention de respecter tous ces intérêts ; ils l’ont dit, et le choix d’un ministre des Travaux publics comme Gabriel-effendi-Noradounghian en est la preuve ; ils annoncent qu’un conseiller français sera chargé de la réforme des finances, un anglais de celle de la marine, un allemand de celle de l’armée. Mais il suffirait de quelques mesures trop hâtives ou seulement de quelques paroles imprudentes pour alarmer l’Europe et amener des complications que peut-être certains États verraient sans déplaisir. La question du chemin de fer de Bagdad est dangereuse. La Bosnie, dit-on, demanderait à envoyer des députés au Parlement de