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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/16

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parti que je prendrai si vous l’aimez mieux ; mais j’y ai déjà été prévenu par leurs intrigues, et dans un voyage que j’ai fait à Chambéry, où j’ai vu et appris les choses les plus déchirantes, j’ai trouvé que l’ami sur lequel j’y comptais avait été gagné[1]. Ainsi nous serons à peu près dans leurs lacs à Chambéry comme à Grenoble. Et nous y serons absolument sans protection, sans sûreté même qu’on nous y laisse, au lieu qu’en France nous sommes sûrs au moins de la protection du Prince, qu’on trompe, mais qu’on ne trompera peut-être pas toujours, et même en quelque sorte de celle de la Cour, dont j’ai, comme vous savez, toute l’assurance que je pouvais désirer. Le meilleur serait peut-être de pousser jusqu’en Italie et d’aller passer l’hiver à Turin. Dans notre solitude près de Grenoble nous aurons à la vérité la sûreté et le repos du côté de l’autorité publique, sur quoi nous ne pouvons pas compter ailleurs : mais quand nos finances seront épuisées, nous resterons sans ressource et il faudra mendier ou mourir de faim, au lieu qu’à Turin ou dans quelque autre ville je puis copier, donner des leçons, vivoter de quelques talens et ne pas manger jusqu’au dernier sou. Tout cela, ma bonne amie, mérite réflexion, et je suis d’avis que pour pouvoir nous décider ici sans obstacle pour le parti qui nous conviendra le mieux, vous vous munissiez à Lyon d’un passeport de M. le commandant qui, comme je le présume, ne vous sera pas refusé par l’intercession de M. Boy de la Tour. Ne négligez pas cet article.

Il ne me paraît pas convenable que vous me donniez ici le nom de Frère, quoiqu’assurément les sentimens de la plus pure fraternité subsistent depuis tant d’années entre nous, mais les hommes connaissent trop peu nos cœurs pour être équitables, nous avons dû complaire au Prince dans sa maison, songeons maintenant à ne pas donner prise à nos vils ennemis, toujours prêts à juger de nous par eux. Soyons amis et parens en attendant mieux, je n’en dirai pas ici davantage.

J’oubliais de vous dire un fait qui contribue à me tenir en suspens sur le lieu de ma retraite. M.[2] Boy de la Tour ont eu la bonté de me recommander à M. Bovier, gros marchand gantier à Grenoble, et, comme il me paraît, très bon homme. Mais

  1. M. de Conzié lui avait paru complètement refroidi à son égard, et il attribuait ce changement à l’influence de ses ennemis.
  2. Sic.