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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/15

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faire est de rester où vous êtes ou de retourner à Paris, car si vous vous obstinez à me suivre, quelque doux que cela me puisse être, mes embarras en redoubleront, et vous devez vous attendre à partager dans toute sa rigueur l’effroyable sort qu’on me destine et dont on ne me fera pas grâce jusqu’à la mort ; soyez bien sûre par exemple qu’on n’attend que de me voir fixé dans quelque demeure pour y renouveler aussitôt toutes les scènes de Trye ou d’autres semblables qui vous déchireront le cœur incessamment. Vous ne pourrez me garantir de rien ni vous non plus, et vos peines redoubleront les miennes. Si je suis privé de votre assistance dans mes maux de corps et d’âme, j’en serai plus tôt délivré, je l’espère, et c’est ce qui me reste à désirer, ainsi qu’à vous si vous m’aimez véritablement. Si vous vous obstinez à me suivre sans égard aux inconvéniens attachés pour tous deux à ce parti, après m’être réservé d’autres représentations à vous faire, je vous en laisserai la maîtresse : mais alors nous aurons une autre délibération à faire sur le choix de notre habitation, si tant est que quelque choix nous soit laissé, car les hommes et la nécessité ne me laissent pas un instant secouer leur joug, et rien n’est plus trompeur ni plus cruel même que l’apparente liberté qu’on paraît me laisser.

Il y a une habitation dont le loyer m’est offert, sur le penchant d’une montagne à mi-côte, et seulement à deux lieues de Grenoble ; mais le Drac, rivière dangereuse et souvent impraticable, rend la communication difficile. L’air est bon, la vue est belle, il y a de l’eau : la position a du rapport à celle de Wootton. Je puis être sûr d’y être confiné de même en prison perpétuelle, livré entre les mains de mes ennemis, et des gens à leurs gages que j’aurai pour tout voisinage et dont je dépendrai pour mes provisions, sans y voir jamais d’autre visage humain que celui du maître de la maison, qui, je crois, sera obligeant et officieux, et viendra nous examiner et ne nous rien dire, précisément comme M. Davenport[1], mais beaucoup plus fréquemment. Notez que ceux qui disposent de moi, sachant que mon projet était d’aller à Grenoble, y ont dressé toutes leurs batteries, et que là nous tenant au milieu d’eux, ils disposeront de nous tout à leur plaisir.

Je puis pour m’éloigner d’eux passer en Savoie, et c’est un

  1. Ami de Hume et propriétaire du château de Wootton.