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puissance d’action, tout cela vient de nous, tout cela vient de France. Cette révolution qui s’accomplit au chant de la Marseillaise, comment ne la reconnaîtrions-nous pas ? Elle est fille de la Révolution française. Saluons-la au passage, cette infatigable ouvrière de bien et de mal, de destruction et de rénovation. Dans sa carrière prodigieuse, voici maintenant qu’elle s’installe à Constantinople, à Salonique, à Smyrne, à Damas, à Bagdad, à Jérusalem, qu’elle transforme la terre du mystère et de l’immutabilité, l’Orient silencieux. Quels que soient maintenant les événemens, c’en est fait, l’Orient ne retrouvera plus sa longue immobilité ; il est entré dans le torrent de la vie européenne : les idées françaises ont passé par là.

Comment les sympathies de la France n’iraient-elles pas à une tentative si généreuse, à une révolution dans laquelle, avec la différence des milieux, elle reconnaît ses méthodes et ses principes. Pourvu que ses propres droits n’en soient point lésés, non seulement elle ne cherchera pas à créer de difficultés au nouveau gouvernement, mais elle l’appuierait de son influence si les jours de péril arrivaient pour lui : l’amitié avec l’Empire ottoman est l’une des plus vieilles traditions de la politique française. Le comte Ostrorog écrit : « Ce spectacle d’un peuple arrivé au pouvoir et très conscient de son pouvoir, qui non seulement acclame la liberté, l’égalité, la fraternité, mais qui les pratique avec un enthousiasme candide et doux, est bien fait pour persuader les plus sceptiques et rassurer les plus timorés. » Sceptiques, nous sommes excusables de l’être un peu, nous qui avons fait tant de révolutions et tant parlé de fraternité ! Mais personne du moins, aux premières heures d’une crise qui sera très longue, ne saurait nier les services que les réformateurs du Comité Union et Progrès ont rendus à leur patrie. Grâce à leur initiative courageuse, la Turquie ne reverra plus le régime d’oppression qu’elle a connu ; ils ont balayé pour longtemps la séquelle des mouchards, des voleurs, des derviches et des astrologues qui captaient la confiance du Sultan ; ils ont jeté dans le pays un ferment de résurrection et de progrès qui fera tôt ou tard son œuvre ; ils ont déchaîné cette force sans laquelle rien de grand ne se fait sur la terre et qui s’appelle la foi.


RENE PINON.